FESTIVAL – Le septième rendez-vous du Festival International de Musique de Chambre de Salon de Provence, au château de l’Empéri, intitulé “ les carnavals des animaux”, propose une rencontre avec Lambert Wilson, chanteur, écrivain et conteur ; et deux créations l’une d’Albert Guinovart, l’autre d’Orlando Bass, toutes deux évocatrices du monde animal…sans oublier Camille Saint-Saëns et son Carnaval des Animaux.
Le calme avant la tempête
Le Quatuor AGATE interprète le quatuor à cordes en mi bémol de Mozart, avec une grande précision rythmique et dynamique. Les attaques sont nettes, les archets parfaitement synchronisés. Dès le deuxième mouvement les cigales, conquises, offrent un contrechant. Un chat longe souplement le toit du château. Le charme de Trazom opère.
Lambert Wilson chanteur
Lambert Wilson est désormais impliqué dans toute la suite du concert. Il commence par interpréter cinq chansons de son spectacle autour de Kurt Weill, compositeur allemand ayant connu l’exil au moment de la deuxième guerre mondiale. De sa voix profonde de baryton basse, timbrée, nettement articulée, associée à une gestique efficace : mains couvrant le visage, bras en croix, il inquiète les enfants blottis sur les gradins. C’est “ le grand Lustucru”, berceuse bien particulière : “ le grand Lustucru mangera tous les petits gars qui ne dorment pas”. L’accompagnement est joué par le quatuor AGATE, aux pizzicati dynamiques, Albert Guinovart au piano, Olivier Thierry à la contrebasse et deux des fondateurs du Festival : Emmanuel Pahud (flûte) et Paul Meyer (clarinette).
Le cortège des animaux de Guinovart
Pour fêter les trente ans du Festival International de Salon, cette création 2023 introduit l’arche de Noé à l’Empéri. La première pièce s’appelle justement Cortège de l’Arche de Noé.
Quelle malice ! une cohorte qui rassemble poux et puces, évoqués par de nombreuses dissonances et des flatterzunge à la flûte (roulement lingual qui produit un effet de trémolo). L’oiseau voyageur, plus noble, traverse l’Andalousie accompagné par les castagnettes et le tambourin à cymbalettes.
Lambert Wilson, écrivain, introduit chacune des neuf parties par un texte humoristique réalisé dans les vingt quatre heures précédant la représentation. “Le coq sportif plaît aux filles”,” le déluge va arriver”. Finalement les animaux de l’arche seront sauvés par un bâteau italien… et l’histoire pourra recommencer.
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L’Ornithorynque d’Orlando Bass – Création mondiale
Mais quel animal étrange traverse la cour de l’Empéri, hantée par le fantôme de Nostradamus ?
Lambert Wilson récite un texte de Frédéric Albou. Un groupe de huit musiciens avec deux pianistes, dont le compositeur, interprète huit minutes de musique atonale. Le piano intervient en introduction, suivi par la clarinette, puis les violons jouent en duo des gammes dissonantes car séparées par un imperceptible intervalle. Le pauvre animal se déplace avec difficultés : alternance des registres grave et aigu, trémolos, flatterzunge. Finalement cette souffrance s’éteint dans une nuance pianissimo avec des harmoniques aux cordes.
Que serait l’Arche de Noé sans le Carnaval des Animaux de St-Saëns ?
Pour le plaisir de nos cinq sens, la musique du maître Saint-Saëns
Francis Blanche, le Carnaval des animaux
Et pourtant Camille s’est amusé, sans prendre son travail très au sérieux, tout comme Ravel pour son boléro. Lambert Wilson présente chaque pièce sur un texte de Francis Blanche. Le public nombreux est hilare, plus une place libre sur les gradins. Les onze musiciens s’amusent aussi. La clarinette du coucou chante dans la nuit cachée derrière les spectateurs. Les pianistes débutants sont particulièrement poussifs, les tortues suantes et souffreteuses dansent au ralenti le french cancan d’Orphée aux enfers d’Offenbach.
Seul le cygne conserve sa majesté avec un solo de violoncelle au vibrato élégant, à la mélodie souple et aérienne grâce à des coups d’archet savamment dosés.
Minuit approche, les applaudissements frénétiques, les battements de pieds et les bravos criés à la cantonade accueillent les dernières notes du finale. Les artistes éclairés par la lune saluent longuement les spectateurs, qui s’éloignent ensuite du château, sourire aux lèvres, enchantés par ce grand défilé animalier.