CONCERT – Le festival Classicahors (facile à retenir !) a pour but d’offrir la crème du classique en plein coeur du Quercy. Point d’orgue de son édition 2023, le concert de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles dirigé par Théotime Langlois de Swarte a failli tourner à l’orage. Heureusement, la pluie a laissé un peu de place à la musique, avec une intégrale des concertos pour violon de Bach.
« Je crois que j’ai perdu 3 kilos ce soir ! ». L’auteur de la brève de concert du jour n’est pas un violoniste qui a joué l’intégrale des Caprices de Paganini par 40 degrés à l’ombre, non. Il s’agit d’Emmanuel Pélatra, directeur artistique du festival Classicahors, qui redoutait une autre sorte d’intempérie. Car ce 2 août au soir dans la cour de la préfecture de Cahors, le concert le plus ambitieux de toute son édition 2023 a bien failli être gâché par l’été pourri qui sévit sur tout le Sud-ouest du pays. Il a plu sur Cahors l’après-midi même, mais la préfecture a assuré aux organisateurs qu’elle nous laisserait tranquille pour la soirée. Qu’à cela ne tienne, on maintient le plein-air !
Y’a plus d’saisons ma bonne dame !
Quand on est assis tranquille dans son siège, toutes oreilles ouvertes, on n’imagine pas la pression que représente l’organisation d’un festival comme celui-là, dans un territoire qui n’a pas l’habitude de recevoir de grands raouts classiques d’été. Beaucoup de temps, pas mal d’argent, et un projet ambitieux qui vise à proposer des concerts de haute qualité, en plein Quercy, depuis huit ans. Alors, quand l’Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles se déplace, avec Théotime Langlois de Swarte, pour une intégrale des concertos pour violon de Bach, la moindre goutte de pluie sur le clavecin se transforme en sueur froide… Parce qu’en plus, pari gagnant, il n’y a plus une place disponible dans cette cour de la préfecture de Cahors. Le public est là !
Alors forcément, quand notre Théotime national arrive avec son prélude pour violon seul depuis le fond de la cour, un petit frisson se fait sentir. Il remonte l’allée centrale, monte sur le plateau où l’attendent les musiciens qui l’accompagnent, démarre la transcription d’un choral de Bach pour introduire le premier concerto de la soirée, et patatras ! C’est la fête à la grenouille… Interruption du concert. Emmanuel Pélatra fonce sur scène pour sauver le clavecin, le public grince un peu des dents, mais attend patiemment. Beau joueur, Théotime Langlois de Swarte annonce qu’ils vont finir le choral sous le porche. Premier coup de chaud…
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Bach, sauvé des eaux
Le deuxième interviendra quelques minutes plus tard, quand le concert reprendra, là où il s’était arrêté. Sous l’effet cumulé de la pluie et de la légère tension collective, le Concerto en La mineur BWV 1041 se change en rite païen pour chasser les nuages. Bach sacrifié sur l’autel du temps maussade…
Les doigts sont refroidis, les mèches des archets sont humides, le son n’est pas au top. Pas mauvais, on s’entend, mais pas ce qu’il devrait être. L’espoir grandit d’aller au bout du concert, mais on souffre pour les musiciens qui déploient des trésors d’écoute et de corrections pour s’adapter à la fois au son et au diapason changeant. Les instruments baroque sont très sensibles à l’humidité…
Théotime et son orchestre, comme des pros
Mais le courage paie, et plus la soirée avance, plus l’ensemble retrouve sa zone de confort. On retrouve contraste et stabilité au moment d’attaquer le deuxième tube de la soirée : le Concerto pour violon seul en Mi Majeur BWV 1042. Ouf ! Le public a enfin ce qu’il était venu voir : champagne ! Plus les mouvements s’enchaînent, plus un oublie la catastrophe du début du concert. Théotime Langlois de Swarte lui, est très détendu. Un peu fataliste, un peu cabot, il annonce les oeuvres les unes après les autres en faisant quelques petites blagues.
L’intégrale des concertos pour violon de Bach se déroule alors, limpide, avec des choix de tempo qui ne sacrifient pas la lisibilité au culte du virtuose. Même si, parfois, Théotime Langlois de Swarte allume quelques trilles endiablés que son coup d’archet magique envoie valser, façon 14 juillet. Un feu brillant dans le soir humide de Cahors. À la fin du concert, ce sont les bis qui pleuvent sur le public, avec un Jésus, que ma joie demeure chanté en choeur sous la baguette du chef lui-même, pour un moment de communion entre la salle et la scène. Un extrait de l’Été de Vilvaldi et une Danse des sauvages de Rameau plus tard, cette soirée de tubes baroque qui sentait bon les compiles Deutsche Grammophon s’achève, laissant le public cadurcien (et oui, ça se dit comme ça !) sur un petit nuage…