CONCERT – Les trois institutions culturelles fédérales Bozar, La Monnaie et le Belgian National Orchestra s’associent pour proposer durant les deux prochaines saisons l’intégrale des symphonies de Gustav Mahler. La saison 23/24 débute ainsi avec une première sélection autour des symphonies n° 1, n° 2, n° 5 et n° 6.
Le Belgian National Orchestra donne le coup d’envoi en ce mois de septembre avec la Symphonie N°1, dite “La Titan” (1888). Autre figure éminente du programme : Mozart. Son Concerto pour violon n° 5 est donné sous la direction du premier chef d’orchestre invité, Roberto González-Monjas. En cette occasion, la russo-britannique Alina Ibragimova vient prêter son violon au service de son répertoire de prédilection.
Mozart et Mahler : from Austria with Love.
Mozart et Mahler, séparés de plus d’un siècle, demeurent des figures conquérantes d’un paysage musical d’hyper-expressivité. En 1775, lorsque le jeune Mozart créé son Concerto pour violon n°5, l’Autriche se tient au carrefour de la stabilité européenne, d’une effervescence et opulence artistique. Les symphonies de Mahler, a contrario, servent de trait d’union entre les dix-neuvième et vingtième siècles, au sein d’une Autriche ébranlée par les tumultes du temps. Trouble intérieure et puissance affective : la musique de Mahler est marquée par une grande force psychologique. Aujourd’hui, on parlerait de résilience.
Élargissement de la forme classique pour Mozart, introduction des éléments narratifs et émotionnels complexes pour Mahler, tous deux finalement ont ainsi cherché à repousser les frontières de la forme musicale de leur époque respective avec une expressivité redoutable. Mozart envisage Mahler, et Mahler répond à Mozart.
Roberto González-Monjas, complice.
Roberto González-Monjas (34 ans), a amorcé son parcours professionnel en tant que violoniste soliste et konzertmeister, occupant des postes prestigieux à l’Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia de Rome et au Musikkollegium Winterthur, près de Zurich. Il y a quelques années, le soliste a décidé de se consacrer pleinement à la direction d’orchestre, faisant de cette discipline son activité principale.
C’est en ce mois de septembre 2023 qu’il a été nommé en tant que directeur musical de l’Orquesta Sinfónica de Galicie en Espagne, après de longues années de collaboration avec le BNO (Belgian National Orchestra). De retour avec des musiciens qu’il connaît bien, il semblerait que le directeur musical fasse primer la modernité de son âge. Fédérateur, complice et figure à l’égal de ses instrumentistes, Roberto González-Monjas est investi pleinement. En témoignent une énergie débordante et une communication physique et millimétrée. L’ancien violoniste aurait pu être danseur…
Mozart roi de Bozar
Tout aussi réceptif que généreux, le Belgian National Orchestra témoigne d’une générosité musicale fidèle à l’esprit belge. Puissante, lumineuse et ultra-précise, l’énergie déborde, au service d’un Mozart des plus raffinés, en opposition à la verve et à la puissance requise par Mahler. L’acoustique est rendue à la perfection, certains cuivres étant placés jusque dans les loges. Les cordes sont une finesse remarquable, quasi nerveuse, tandis que les percussions résonnent avec une générosité que le public sait sentir en salle.
Soliste de talent, la jeune Alina Ibragimova réussit à s’imposer face à l’orchestre avec une ductilité et une vélocité typique. Le jeu de l’instrument semble avoir une capacité « extractive » sur la soliste qui semble absorbée, en harmonie totale avec l’expressivité du concerto. Versatile et impulsive, elle sert la partition avec une extrême sensibilité, sans difficulté apparente…
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Le choc : Titan
Opus complexe et extrêmement variant, la Première symphonie de Mahler, dite Titan aborde les thèmes de la nature romantique, des chants d’oiseaux à la rencontre de l’homme avec son univers infini. Progressivement, les mouvements de danse populaires et paysannes approchent une lecture plus folklorique avant de basculer dans un thème plus funèbre et ironique, inspirée par la mélodie de frère Jacques, en mode mineur. Inspiré d’une gravure sur bois de l’artiste Moritz von Schwindt intitulée Wie die Tiere den Jäger begraben (« L’enterrement du chasseur »), le thème est lent, douloureux. Le quatrième et dernier mouvement, débute sur un cri de désespoir, « brusque explosion de désespoir d’un homme touché en plein cœur » avant de joindre une apothéose, joignant enfin la lumière de fin.
Très belle amorce d’une longue série Mahlérienne, le public bruxellois aura eu la chance d’assister à une version des plus expressive de « La Titan ». Applaudissant debout durant de longues minutes, les amateurs de Mahler sauront retrouver une prochaine date, dès le 1er octobre. Rendez-vous à la salle Henry Leboeuf de BOZAR. L’Orchestre symphonique de la Monnaie, sous la direction d’Alain Altinoglu, se lancera dans sa Deuxième symphonie avec les solistes Ilse Eerens (soprano), Nora Gubisch (alto) mais également les Chœurs de la Monnaie et le Chœur de la radio flamande. Affaire à suivre !