OPERA – Le théâtre Malibran de Venise reprend l’Orlando furioso de Vivaldi, dans une mise en scène de Fabio Cerusa et sous la direction musicale de Diego Fasolis, créé au festival della Valle d’Itria à Martina Franca en 2017, en coproduction avec la Fenice.
Orlando, le favori du prêtre roux
Essai transformé (après 2 tentatives) , l’Orlando furioso (d’après Arioste) valut à Vivaldi un grand succès. Composé à Venise, joué en 1727 au Teatro Sant’Angelo, le sujet est propice à l’opéra : la description d’un héros dans tous ses états, capable de perdre la raison pour une folie amoureuse. Désir et folie, voici deux ingrédients idéaux pour une bonne recette. L’esprit carnavalesque de l’œuvre où ordre et désordre se côtoient, y compris dans l’écriture novatrice de Vivaldi, convenait aussi parfaitement au public vénitien.
Vue globale : Orlando lunaire
La mise en scène cherche à recréer les fastes d’un opéra baroque et en met plein les mirettes : des effets spectaculaires, des machines impressionnantes comme l’hippogriffe de Ruggiero, mi-oiseau, mi-cheval manipulé par 3 marionnettistes, le géant Arontes qu’Orlando détruira dans son dernier accès de fureur. La pleine lune qui domine l’arrière-plan se tourne pour devenir une grande coquille dorée , palais-grotte où trône la magicienne Alcina entourée de ses esclaves asexués, langoureux… la séduction est au premier plan et l’île de la magicienne a déjà des allures de Venusberg wagnérien ! L’enchantement se retrouve également dans la magnificence des costumes ainsi que dans les éclairages variés intensifiant la magie de nombreuses scènes et renforçant l’état émotionnel des personnages.
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Orlando est prêt à décrocher la lune pour Angelica. Il révèle sa part d’ombre, baisse la garde et devient une sorte de loup garou qui, un soir de pleine lune, escalade celle-ci tout en chantant l’air le plus fameux de l’opéra « nell profondo » volontairement déplacé par Cerusa au climax de l’opéra.
Point par point : Orlando vs Alcina
- Le livret de Braccioli juxtapose deux démences amoureuses : celle d’Orlando provoquée par sa découverte des amours d’Angelica et Medoro, la seconde provoquée par la trahison de Ruggiero envers la magicienne Alcina, maîtresse des cœurs. Folie contre fureur, deux personnages poussés à l’extrême, traités en 3D par le compositeur qui brise pour cela les conventions de l’art lyrique. Outre ses qualités de grimpeuse, la voix de contralto au timbre riche et au registre grave affirmé de Sonia Prina impressionne dans les scènes de folie. Parfaitement guidée dans son jeu scénique,elle donne un sens à chaque phrase et habite son dément personnage.
- Lucia Cirillo incarne de sa voix vibrante une magicienne tour à tour séductrice, enjôleuse, vengeresse, furieuse jusqu’à la frénésie quand elle arrache le cœur de l’hippogriffe qu’elle vient de tuer. La voix puissante et légèrement éraillée de son dernier air de furie la rend d’autant plus crédible dans le rôle de cette manipulatrice qui a tout perdu.
- Autour de ces deux aliénés gravitent des personnages plus binaires, tantôt calmes, tantôt agités. Michela Antenucci de sa voix claire et colorée incarne Angelica tandis que Medoro est interprété par la mezzo Laura Polverelli dont la voix manque un peu d’homogénéité avec un médium-grave peu soutenu.
- Le rôle de Bradamante revient à la mezzo Loriana Castellano. Sa voix intense et souple aux graves assurés caractérise bien la guerrière fougueuse tout comme l’amante jalouse.
- Kangmin Justin Kim, l’unique contre-ténor du casting campe le personnage de Ruggiero. Le timbre est brillant, la voix agile et il fait preuve d’un jeu nuancé, précis. Cependant, il reste perché dans l’aigu, compense son manque de soutien dans le médium par un vibrato trop intense et manque un peu de plénitude pour l’interprétation de son air fameux « sol da te mio dolce amore ».
- Enfin, Astolfo est interprété par Luca Tittoto de façon engagée grâce à sa voix puissante, expressive et modulante.
Orlando paradoxal
Cette production se démarque par la volonté d’une certaine authenticité dans la mise en scène et la vocalité.
Côté orchestre, c’est Diego Fasolis, un des chefs d’orchestre de référence pour Vivaldi en Italie, qui dirige une phalange constituée de musiciens de l’orchestre de la Fenice. Il dirige en partie du clavecin avec fougue et une maîtrise totale de la partition, pleine de rythme et de vivacité. Le continuo est dynamique, sonore. Il manque cependant des contrastes plus affirmés, notamment dans les nuances et le continuo. Cela se justifierait-il par l’emploi d’ instruments modernes aux cordes métalliques, avec un accordage à 440? Un orchestre moderne à la sauce baroque qui peut malheureusement mettre en difficulté les chanteurs, notamment dans les vocalises, l’articulation et les phrasés des cordes entraînant alors un léger décalage.
L’avis du public
Enfin, des coupures ont été faites afin de rendre l’opéra plus attractif pour un public moderne. Un public fasciné qui a répondu présent et a chaleureusement applaudi l’ensemble de la production.