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La beauté du Lied et de la mélodie à l’abbaye de Royaumont

COMPTE-RENDU – Samedi 7 octobre, à l’abbaye de Royaumont, avait lieu une journée consacrée au répertoire du Lied (allemand) et de la mélodie (française). De beaux morceaux choisis, exaltés par un lieu porteur et parachevés par une magistrale interprétation du cycle La belle Maguelone, de Johannes Brahms, grâce à Stéphane Degout, Marielou Jacquard et Alain Planès.

Depuis près de 60 ans la Fondation Royaumont accompagne, avec finesse et intelligence, les artistes et les intellectuels dans leur travail de recherche et de création. Colloques, conférences, concerts, performances, résidences de création, commande à des compositeurs… : l’action est large et a les moyens de son ambition. Elle permet par exemple à de jeunes artistes lyriques, au sortir de leurs études et avant leur plongeon dans le grand bain professionnel, de travailler en résidence pour monter un programme, accompagnés des plus grands professeurs : Dorothea Röschmann, Karine Deshayes, Stéphane Degout, Véronique Gens ou encore Susan Manoff.

Quatre duos lauréats

Ainsi a-t-on pu assister, samedi 7 octobre à 17h, dans le réfectoire des Convers, à un récital des quatre duos chanteur/pianiste lauréats de la 5e édition de l’Académie Orsay-Royaumont. Au programme : des Lieder (en langue allemande) et des mélodies (en langue française). Autrement dit, une bonne occasion de juger de la qualité d’apprentis-interprètes d’un genre particulièrement délicat à maîtriser : celui du récital chant/piano. En effet, le Lied allemand et la mélodie française sont d’esthétiques très différentes et nécessitent chacun des techniques pianistiques et vocales spécifiques, notamment au niveau de la diction et du placement de la voix des chanteurs.

Brenda Poupard (mezzo-soprano), Anne-Louse Bourion (piano)

À ce jeu de comparaison entre les deux esthétiques, le duo Brenda Poupard (mezzo-soprano) et Anne-Louise Bourion (piano) a le mieux tiré son épingle du jeu. La voix claire et agile de Brenda Poupard, soutenue par le piano efficace et juste de Anne-Louise Bourion, est venue servir avec précision et pertinence quelques Banalités de Poulenc, sur des textes d’Apollinaire. En contrastes de ces jolies miniatures, deux Lieder de Franz Liszt l’ont vue approfondir et élargir son timbre ; conduire, portée intelligemment par le piano solide de Anne-Louise Bourion, une ligne musicale soutenue, à la prononciation impeccable.

Adrien Fournaison (baryton-basse), Natallia Yeliseyeva (piano)

Le baryton-basse Adrien Fournaison est passé lui aussi aisément de la diction « devant » du Français à celle, plus large, de l’Allemand. Très joliment accompagné au piano par Natallia Yeliseyeva, il fut aussi à l’aise dans la mélodie profonde Drei Prinzessinen, de Hans Gál que dans une chanson fine de George Enesco, Languir me fais, sur un merveilleux poème Renaissance du Clément Marot. Son timbre, beau, profond et bien installé, malgré un peu de difficultés dans les changements de registres, n’a pas manqué pas de souffle, équilibrant bien finesse et soutien.

Hélas, le duo Dan D’Souza (baryton) et Dylan Perez (piano) a semblé, lui, passer à côté de l’exercice : seulement des mélodies en Français, de Sauguet, Saint-Saëns, Poulenc et Fauré, menées tambour battant, avec un piano peu subtil et une voix sans relief, maintenue en permanence dans une nuance forte et monotone.

Cyrielle Ndjiki-Nya (soprano), Kaoli Ono (piano) © Fondation Royaumont

En contraste, le duo Cyrielle Ndjiki Nya / Kaoli Ono a proposé, en ouverture de programme, un moment musical très complet, laissant aisément entrevoir les grandes capacités vocales et lyriques de Cyrielle Ndjili Nya, doublées d’une belle intelligence de la partition et d’une justesse de l’instant, sans oublier le piano persuasif et chantant de Kaoli Ono. Ensemble, elles ont interprété les trois Chansons de Bilitis, de Debussy, suivies des deux longs -et rares en récital- Lieder de Schubert, Totengräbers Heimwehe (‘la mélancolie -oserait-on dire blues ?- du fossoyeur’) et Der Zwerg (‘le nain’). Si les mélodies de Debussy ont sonné avec aisance et sensualité, servies par une voix dotée de grands moyens et bien maîtrisée, les Schubert ont eu toute l’ampleur et la conduite du discours requises, même si la diction un peu « chewing-gum » de l’Allemand mériterait encore un peu d’apprentissage ; somme toute, nous n’avions affaire, là, qu’à de futurs professionnels de grand talent !

 On pourra retrouver ces quatre duos jeudi 02 novembre au Musée d'Orsay, pour une promenade musicale en écho aux collections : https://www.musee-orsay.fr/fr/agenda/evenements/promenade-musicale-dautomne-2023
Quatre interprètes de premier niveau

Si ce concert « junior » avait lieu dans le Réfectoire des convers, belle salle de taille moyenne, toute en voûtes et pierres de taille, à la sonorité parfois un peu trop réverbérante, c’est le Réfectoire des moines, plus majestueux, qui accueillait le grand concert de 20h, consacré à une seule œuvre, mais quelle œuvre : le cycle de Lieder La belle Maguelone (‘Maguelone Romanze’), de Johannes Brahms ! Sublime, magistral, semblant comme tracé d’un seul trait, large, droit et continu, ce cycle vient conter en musique les amours -d’abord contrariées puis victorieuses- de Pierre de Provence et de Maguelone de Naples.

Roger Germser (récitant), Marielou Jacquard (mezzo-soprano), Stéphane Degout (baryton), Alain Planès (piano)

Pour ce faire, ont été réunis quatre interprètes de premier niveau : le baryton Stéphane Degout, qui semble actuellement touché par la grâce -et ça fait pas mal d’années que ça dure!-, la mezzo-soprano Marielou Jacquard, le pianiste Alain Planès et le récitant Roger Germser. À eux quatre, ils ont trouvé le ton juste, pour narrer, de manière captivante, le récit de La belle maguelone. Roger Germser, avec élégance, panache mais aussi une nécessaire retenue, a porté le texte de l’histoire, extrait du recueil Les amours de la belle Maguelone et de Pierre de Provence, de Ludwig Tieck, revu et modernisé en Français par Elisabeth Germser, ce pendant que Stéphane Degout et Marielou Jacquard faisaient se succéder les différents Lieder de ce cycle, magistralement accompagnés au piano par Alain Planès.

Un concert touché par la grâce

Il y a des soirs de concert où l’on se dit que ce qui est en train de se produire sur scène, c’est cadeau ; que l’ensemble des forces (logistiques, artistiques, techniques…) réunies pour cet événement ne l’a été que pour vous. C’est faux et égoïste bien sûr, mais cela atteste de la puissance de déflagration artistique que peuvent produire certains concerts touchés par la grâce. Ce fut le cas ce samedi 7 octobre à l’abbaye de Royaumont : une pièce maîtresse du répertoire classique, servie par des interprètes à sa hauteur. On pourrait même aller plus loin : « une pièce maîtresse du répertoire classique de langue allemande, servie par des interprètes à sa hauteur, pourtant de nationalité française ». Tout était là : Stéphane Degout, Marielou Jacquard, Alain Planès et Robert Germser ont constitué un quatuor idéal pour rendre au mieux la richesse et la subtilité de ce récit épique décliné en série de Lieder, savamment entrecoupés d’extraits du récit de la légende, joliment mise au goût du jour, en Français, par Elisabeth Germser.

À Stéphane Degout, la maîtrise parfaite de sa voix, de son registre, de son timbre et de sa diction, pour nous camper Pierre de Provence, jeune chevalier intrépide, bien décidé à quitter le château familial pour aller conquérir la belle Maguelone de Naples, dont il se sait amoureux. À Marielou Jacquard un très beau timbre de mezzo-soprano et une diction absolument superbe de l’Allemand (il faut dire qu’elle est partie étudier spécifiquement la pratique du Lied à la Hochschule für Musik Hanns Eisler de Berlin, un peu la Mecque du genre), au mieux à même de nous rendre la richesse expressive du personnage de la Princesse Maguelone, fille du roi de Naples. À Alain Planès un piano brahmsien somptueux, à la fois précis et généreux, rendant toute la richesse harmonique de la trame sonore et capable de changements de couleurs incessants, au gré des rebondissements de l’histoire.

Pour un résultat, encore une fois, époustouflant de beauté, de générosité et d’intelligence, ce d’autant plus quand on sait la difficulté d’interprétation et le défi technique que représente cette partition de La belle Maguelone pour ses interprètes. Un conseil : traquez les occasions d’entre cette fine équipe en concert dans ce programme !

Vous pouvez aussi vous procurer le disque du programme, enregistré par ce casting de choix, pour le label B Records !

Teaser du disque La belle Maguelone (B Records), enregistré au Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet (Paris)

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