CONCERT – Sans doute avez-vous remarqué récemment qu’il suffit parfois de peu pour passer d’un climat à un autre : une journée peut ainsi suffire pour faire dire à nos thermomètres que c’est l’automne. Eh bien, le soir du 19 octobre 2023, à l’Auditorium de Radio France, le changement de saison s’est fait encore plus brusquement : du Concerto pour Violoncelle n°1 de Chostakovitch à la Symphonie n°3 de Rachmaninov en un simple entracte.
Froideur et précision d’une horlogerie sans faille
Aux manettes de cette soirée, le chef Juraj Valčuha, avec à ses côtés, pour le concerto, un Pablo Ferrández implacable. Imaginez une voix de violoncelle légèrement cassante, un grain de son riche, débitant une litanie vertigineuse dans ses dimensions. Figurez-vous ensuite les lignes mélodiques brisées, les empressements entêtés, les accalmies suspectes, à la limite du néant : vous aurez une idée de cette pièce effroyablement dense et séduisante, exécutée avec une rigueur proprement virtuose – et accompagnée par un orchestre parfaitement équilibré.
C’est que l’écriture de ce concerto ne pardonne pas, et réclame une exigence technique invraisemblable : rien ne dure jamais longtemps. L’archet oscille entre les passages appuyés, presque gauches, et l’effleurement à peine perceptible des cordes, qui tire du vide silencieux des notes qui n’ont rien de terrestre. Quant aux mouvements dans le détail, les résumer relève de l’impossible : le nuancier qui déroule ses feuillets nous emmène, avec le plus grand naturel, des couleurs symphoniques les plus familières vers des inflexions à la modernité acharnée.
Pablo Ferrández n’eut, à la rigueur, qu’un seul tort en cette soirée – et vous verrez qu’il n’est pas trop grand : céder à la tentation d’un rappel trop facile, qui jurait avec la tension du Chostakovitch.
Beaucoup de bruit pour rien ?
Quoique exécutée avec ferveur, la Symphonie n°3 de Rachmaninov n’affichait pas la même sensibilité formelle. L’élan orchestral était chaleureux et la narration, suffisamment variée pour séduire l’oreille, prenait des accents indéniablement plus ronds et éclatants. Mention spéciale, toutefois, pour les accents orientalisants du deuxième mouvement, qui fut sans doute le plus charmant des trois. Il va sans dire que l’orchestre fut irréprochable et que le public sut lui signifier sa reconnaissance – avec une insistance méritée, une fois venu le moment d’applaudir la très précise première corniste. Et cette fois-ci, pas de rappel !