Dvorak à Aix : une grande traversée

CONCERT – Le Grand Théâtre de Provence embarque l’Orchestre des Champs-Elysées sous le gouvernail de son fondateur, Philippe Herreweghe. Un diptyque Dvořak qui allie l’expressivité du violoncelliste Nicolas Altstaedt à la puissance de la phalange : proximité et distance de l’ancien et du nouveau monde. 

Soleil couchant sur le romantisme

Les deux œuvres programmées font partie du corpus fin de siècle du compositeur, alors en déplacement aux États-Unis, qui associe dans leur facture l’expression de son lien distendu avec sa terre natale. Elle se traduit par une musique parfois obscure, mais toujours expressive. 

Le Concerto pour Violoncelle n°2 en si mineur (1895) est confiée au soliste franco-allemand Nicolas Altstaedt, à la présence fiévreuse et charismatique, placé sous la protection de la figure tutélaire de Philippe Herreweghe. Dès les premières notes de sa partie, il s’empare des sons par le bas, sans rudesse. Un large legato joue autour du cœur de la note, tandis que l’impulsion rythmique se coule dans la mélodie. Même le rythme est matière lyrique, qui, devenu plus rapide, exprime l’épreuve émotionnelle du jeu du soliste, son héroïsme parfois. Dans le deuxième mouvement, il lance sa voie intérieure sur la canopée de l’orchestre, la parant d’accents tziganes : complainte à fleur de peau, souvenir abrasif de la terre natale.

Nicolas Altstaedt © Marco Borggreve

Philippe Herreweghe, à la tête de l’Orchestre des Champs-Elysées, produit la texture moelleuse et suave, le frémissement de la petite harmonie, dont le violoncelliste a besoin (deuxième mouvement). La musique est concrète, explore les profondeurs maritimes de l’orchestre. Le chef laisse toute latitude au soliste, amarrant la phalange à son espace sonore. Dans le troisième mouvement, le défi est de ne pas chuter dans le pompeux, de contrôler les décibels, ainsi que les mugissements rauques des tutti, de bannir la virtuosité gratuite : c’est chose faite.

À lire également : Herreweghe, à Saintes comme chez lui

Le travail de cohésion est tel que le chef est comme le deuxième grand archet du soliste. L’opposition des nuances n’est jamais frontale, l’une se coulant dans l’autre, comme deux vases communicants. Le final préfigure l’avancée transatlantique de la symphonie qui va suivre, et qu’un bis du violoncelliste ne pourrait qu’interrompre ; de fait, le soliste prend sa place au cœur de l’orchestre, pour prolonger son voyage intérieur, sa partie s’étant refermée dans son écrin nocturne.

Philippe Herreweghe © DR
Les couleurs du Nouveau Monde

La Symphonie n°9 « du Nouveau Monde » (1893) prend ses racines rêvées depuis la lointaine Amérique. Le chef entre dans la plume de Dvoràk, favorise l’intégration serrée entre rythme, mélodie et timbre, au détriment de la conception classique de la forme. Dans le deuxième mouvement, il entre dans la chair sombre de l’orchestre, tandis que la lumière grenue du cor anglais se fraye un chemin vers la mémoire, consolation de toutes les nostalgies : une musique crépusculaire de cow-boy et d’indiens. Le chef obtient des pianissimo à la lisière du son, vibration épidermique redoutable pour la justesse, comme pour exprimer que le système tonal vit son point de basculement. Il prend un risque majeur, celui du délitement, que parfois seul le tapis feutré des contrebasses vient prévenir. Ici aussi timbres et textures sont des forces vives, des thèmes-couleurs qui prennent les devants en douceur, les instruments devenant des moyens de locomotions. Car jamais le territoire ne revient à l’identique, quand on rebrousse chemin…

Le public applaudit à tout rompre cette passionnante traversée, consacrée à la relation d’un créateur aux territoires qu’il habite, et dans laquelle l’interprétation part à la découverte de l’invisible sonore.

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