CONCERT – Spécialiste des claviers anciens, Catalina Vicens est invitée par le centre culturel Bozar à formuler un programme historique autour de la ville de Bruxelles, au cœur de la Chapelle protestante de la capitale. Un moment particulier où le temps s’arrête et rejoint le passé, porté par la grâce intemporelle de Catalina Vicens.
Une histoire de touche
Saluée par la presse internationale pour sa précision historique dans le domaine de la musique ancienne, l’organiste et claveciniste chilienne sait bien s’entourer. Enseignante et chercheuse au Conservatoire Royal de Bruxelles depuis 2019, le dynamisme et l’approche historique de la musique l’ont amenée à devenir l’une des clavieristes les plus polyvalentes de sa génération. Reconnue pour son travail sur les claviers de la Renaissance et du Moyen-âge, Catalina Vicens travaille aux côtés de facteurs d’instruments spécialisés dans la reconstruction de nouveaux prototypes mais également de compositeurs contemporains, afin de redonner vie aux instruments historiques. Dernièrement, la claveciniste avait enregistré un CD sur le plus ancien clavecin du monde, Il Cembalo di Partenope, qui lui a valu un Diapason d’Or : https://catalinavicens.bandcamp.com/album/il-cembalo- di-partenope.
Une touche de clavier, une touche de peintre
En 2020, le nom de Catalina Vicens avait été largement cité à l’occasion d’un événement historique à Gand, réclamant ses talents d’organiste. La Belgique accueillait avec effervescence la fin de la première campagne de restauration de l’Agneau Mystique, joyau inestimable des Primitifs Flamands, après dix ans d’attente.
Pour les plus curieux, il est possible d’aller se perdre dans la peinture grâce au site Closer to Van Eyck
L’Agneau Mystique, retable historique réalisée en 1432 par Jan Van Eyck et son frère Hubert, représente un Agneau sacrificiel entouré par une peuplade de béatitudes en plein jardin céleste. Si le panneau est supposé rester fermé durant l’année, c’est lors de fêtes religieuses qu’il est présenté au public, révélant sa scène centrale ainsi que ses volets. Outre la scène centrale de l’Agneau très bien entouré, Dieu surplombe la scène en compagnie de Saint Jean et de la Vierge, mais également des Anges Musiciens. Parmi les anges chanteurs, un Ange placé de dos joue de l’orgue. Similaire à ce dernier, un modèle produit par Winold van der Putten, issu du National Organ Museum avait été prêté à la clavieriste Catalina Vicens, accompagnant la voix de la soliste Liselot De Wilde pour un moment historique avec Unicornis Captivatur, XIVème siècle.
Histoire belge
Mais revenons à Bruxelles. Si la ville est actuellement réputée pour son hétérogénéité culturelle, il semblerait que le passé n’ait pas été en reste. Catalina Vicens a conçu le récital autour des œuvres maîtresses d’un temps où le clavecin était en apogée dans la ville de Bruxelles (qui n’était alors pas la capitale belge). Aux16e et 17e ème siècle, les Habsbourg et le Saint-Empire romain germanique dominaient la scène européenne. La rivalité entre le catholicisme et les religions réformées était palpable. En conséquence, de nombreux compositeurs et artistes ont émigré (ou se sont exilés) à Bruxelles en raison de leurs convictions religieuses ou d’autres facteurs, faisant de la ville une plaque tournante culturelle aux multiples inspirations.
Le clavecin était un instrument incontournable à cette époque, pris en main par des luthiers renommés tels que la famille anversoise Ruckers. Il était l’instrument préféré des classes sociales supérieures, aux côtés de l’orgue, associé au répertoire religieux. Le répertoire de la Renaissance pour clavecin se compose principalement de musique profane, comprenant des pièces abstraites telles que des toccatas, des préludes et des danses stylisées comme la pavane et la gaillarde. Certaines compositions du programme sont un bel exemple de cette diversité et des relations profanes, étant dédiées à des individus spécifiques.
Erasmus du clavecin
Composé avec une grande maîtrise musicale et historique, le programme de Catalina Vicens met en lumière la diversité internationale de ces compositeurs et de la densité de leur réseau. Incluant des œuvres de compositeurs anglais tels que William Byrd, Orlando Gibbons, Peter Philips et John Bull, Catalina Vicens fait répondre l’ennemi français de l’époque avec des morceaux de Couperin. Ironie du sort, le clavecin trônant au coeur de la chapelle est un clavecin français historique, anonyme (Lyon, milieu du XVIIe siècle). La claviste s’en amuse, faisant habillement cohabiter la longue rivalité franco-anglaise. Le caractère international du répertoire se reflète également dans la présence de compositeurs espagnols (Juan Bautista Cabanilles), français, néerlandais (Nicolaes Vallet et Jan P. Sweelinck) et allemands (Johann Jakob Froberger), chacun apportant sa touche distinctive à l’ensemble.
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Offrant une place toute particulière à l’histoire du clavecin, Catalina Vicens invite à une connexion plus profonde avec le passé. La touche du clavier détonne, métallique et résonnante, plus marquée dans l’esprit que la note du piano qui s’offre plus complexe. Derrière le dépouillement de la ligne du clavecin, l’instrument invite à la connexion avec une forme de nostalgie, comme la Pavana Lachrymae de John Dowland, qui rappelle à la solitude de l’instrument et de son interprète.
Catalina réussit à offrir et à prendre un peu de son auditoire, absorbant l’esprit solitaire, y ajoutant quelques notes et sentiments du passé. La touche y est fine, à la mesure des sentiments, tenue entre la précision de l’instrumentiste et l’empathie de l’interprète.
BONUS
Pour ceux qui veulent creuser l’univers musical autour de l’Agneau Mustique : La révélation de la campagne de restauration de l’Agneau Mystique de Van Eyck avait été un évènement. Après dix ans d’attente, la ville de Gand et le Collegium Vocale Gent contactent Arvo Part afin qu’il s’inspire de l’Agneau et puisse reprendre le thème de L’Agnus Dei.