CONCERT – À l’occasion du Festival des Jeunes Talents, la pianiste Bella Schütz propose aux amateurs d’art asiatiques et de musique classique un programme hybride alliant le classique de Scriabine, Mozart, Chopin, Lili Boulanger et Listz à la poésie nippone du maître Toru Takemisu. L’occasion de repenser la poésie occidentale à travers le prisme suggéré par le Musée Guimet, temple parisien de l’esthétique Wabi Sabi.
Festival des jeunes Talents : kesako ?
Suivant l’ambitieuse tournure de Jean Vilar et son « élitisme pour tous », l’association Jeunes Talents, créée en 1998 organise des concerts et des actions pédagogiques visant à promouvoir de jeunes musiciens talentueux en début de carrière tout en orant l’accès au grand public à des concerts de qualité à plus petit budget. Le Festival des Jeunes Talents propose tous les ans une vingtaine de concerts au cœur de Paris, dans le quartier du Marais et aux Archives nationales. Chaque édition s’attache à la promotion de jeunes musiciens professionnels issus des grands conservatoires européens et lauréats de prestigieux concours internationaux.
Principe esthétique, inspirations nippones
Partagé entre la plénitude du Wabi à l’origine des sensations de modestie que l’on peut éprouver face aux phénomènes naturels (dépouillement, solitude, mélancolie, nature, tristesse, asymétrie), le sabi (patine des choses) se loge dans la beauté de la maîtrise, décelée dans le temps consacré à la beauté de la réalisation. Le savant mélange de Wabi et Sabi, entre naturel et ornemental, permet alors d’atteindre une troisième dimension de la beauté intitulée Ma, ou Yojo, “écho sentimental”.
Si le japon est réputé pour souligner la beauté des brisures de céramiques à l’aide de la technique de restauration du Kinstugi, le programme musical de Bella Schütz invite à la réparation d’une fin de saison à 200 à l’heure à l’aide d’un pansement musical. Concert presque informel, le public est invité à une répétition publique au cœur du Musée Guimet avant le concert dans la salle ovale (plus oficiel) des archives nationales.
Bella Schütz, kōhai ou Sensei ?
Ainsi la beauté se trouverait dans l’ambiguïté. Si la jeunesse de Bella Schütz (21 ans) vient s’opposer à la sagesse de son interprétation, le temps lui-même est à remettre en question. Arrivant calmement et se positionnant au devant de son piano, l’interprète invite à ralentir le temps et à la consultation du Yoj, sans partition sur laquelle se référer. Tempérée et concentrée, la jeune pianiste fait part d’une grande souplesse d’interprétation et d’une connaissance redoutable des morceaux. La fermeté des touches, certains piqués répondent à la psychologie de Mozart et de sa Fantaisie en do mineur qui tend progressivement vers la vélocité et l’extrême précision. Se liant progressivement à l’instrument, Bella Schütz réussit à rendre une précision émotionnelle mature, dont la frénésie rejoint progressivement la fluidité attendue pour la Sonate no.5 op.53 de Scriabine.
Quid du maître ou de l’élève ?
La compréhension du répertoire de Boulanger, emprunt d’une extrême nostalgie et d’une douceur amère détonne, pour la jeunesse de Bella Schütz, qui témoigne également d’une belle incarnation du Takemitsu. Sensible, retenue et pudique, l’interprète ore une brillance particulière aux morceaux.
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Formée au Conservatoire Régional de Paris, Bella Schütz poursuit actuellement des études de Master à l’Univeristät der Künste de Berlin (sous la tutelle du “ Sensei” Björn Lehmann) ainsi qu’à l’Université des Arts de Vienne (dans la classe du “Sensei” Jan Jiracek von Arnim). L’année prochaine, elle fera partie de la promotion Brahms de l’Académie Jaroussky dans la classe de Cédric Tiberghien, mais avant cela, la soliste part en tournée au Japon en compagnie de la violoniste Arieta Liatsi (Grèce) et le violoncelliste Lucas Garcia Muramoto (Brésil/Japon) avec qui elle forme le Trio Callas, en musique de chambre.