AccueilSpectaclesComptes-rendus de spectacles - DanseAntipodes : Grenade en quatre escales

Antipodes : Grenade en quatre escales

DANSE – Josette Baïz réunit, dans cette nouvelle création, Antipodes, « quatre propositions plus différentes les unes que les autres », investies par les dix danseurs de sa compagnie Grenade. Par ces mots, elle décrit la nature inclusive de son travail, cherchant à « ouvrir le mental et les corps des danseurs vers de nouvelles voix chorégraphiques ». 

Grenade : fruit de rencontres
Josette Baïz © josette-baiz.com

Josette Baïz est une actrice artistique connue du Grand Théâtre de Provence, engagée depuis de nombreuses années à mailler finement les territoires par son travail singulier en faveur de la danse. Le nom de baptême donné à ses groupes, Grenade, renvoie à un fruit du sud, symbole de richesse intérieure, de protection par le collectif et de générosité. Le travail de Josette Baïz fait de l’artiste un être polyvalent, en relation avec toutes les dimensions qui s’attachent à la danse : création, programmation, diffusion, transmission, partenariats, etc. 

Un pour tous, tous pour grain ! © DR

Avec ce programme, la dimension géographique est principalement questionnée. Les antipodes, il s’agit d’un lieu, qui est aussi un concept. Il renvoie à l’écart, au grand écart, qui dans le cas de la danse, est une figure emblématique. L’origine latine du mot antipode se traduit par ceux « dont les pieds sont situés à l’opposé ». Josette Baïz est une adepte du pas de côté, cherchant à mettre en relation les chorégraphies les plus diverses de notre temps.

Il s’agit de voir comment la compagnie Grenade se plie à chaque opus, occupant la même durée de quinze minutes, explore tous les corps, et les font converser.

Dans les rues de Grenade

Un extrait de THE ROOTS de Kader Attou, chorégraphe hip-hop, permet à la compagnie de se confronter à l’énergie de la rue, à la racine même du sol urbain. Les gestes d’un personnage principal, à la fois cloué au sol et en apesanteur sur un vieux fauteuil sans pieds, semblent s’employer à démonter le corps humain, pantin désarticulé, marionnette déglinguée. Les mains prennent le pas sur les pieds, le danseur cherchant depuis le tact manuel, à percevoir et tracer ses limites corporelles. 

« Ça vient de la rue » © Léo Balani

La compagnie, alignée dans l’ombre, adopte progressivement ses gestes décalés, les danseurs s’enroulant sur eux-mêmes, cloués au bitume, sous les lumières d’un monde de la nuit : gouffre scénique dans lequel s’opèrent les apparitions et les disparitions des groupes. L’humanité rampe, se cherche d’autres appuis que les mains et les pieds, pour effectuer des rotations et s’« autoporter » dans un monde de solitude. Le corps cherche à tâtons des postures viables, s’appropriant l’espace, tandis que les gestes se font plus ronds et ouverts.

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Grenade explosive

La chorégraphie de YOUNG MEN (2015), affutée et violente, signée Ivàn Pérez, met en scène et en corps la discipline militaire, dans sa fonction déshumanisante, rationnellement orientée vers la lutte à mort. La marche lente est une figure-clé de la danse d’aujourd’hui, faisant de la scène un espace d’errance. Toute la danse se donne comme une manière d’échapper à l’autre : on court, on se jette au sol, on lutte corps à corps, selon un athlétisme assumé, selon les codes visuels et sonores d’un catch aussi violent que désespéré. Un corps-martyr, fragile, dénudé, comme vidé de son squelette, est mû selon des gestes bizarrement élastiques. L’aisance du danseur renvoie, paradoxalement, à l’infirmité, la difformité. Le corps est diminué plutôt qu’agrandi par ses capacités hors du commun. Puis arrive le miracle du mimétisme, quand ce corps hybride se laisse enrôler dans le groupe et en adopte les gestes plus convenus.

On évite les bals… © Léo Balani
En mode Grenade

Avec -SIAS, création des Filles de Mnémosyne, collectif porté par Maxime Bordessoules et Rémy Rodriguez, c’est la discipline absurde du monde de la mode, avec ses défilés de corps-objet, qui sert de cadre à une société dans laquelle les êtres sont à la fois singularisés et interchangeables. La note de programme évoque la libre inspiration du mythe de Tirésias, ce clairvoyant aveugle qu’Ulysse vint consulter en enfer et/ou transformé en femme, puis redevenu un homme, selon une autre version du mythe… Une ronde de nuit s’empare des corps, selon un manège transformiste, les danseurs s’aidant à s’habiller et se déshabiller le plus rapidement possible.

Défilé, le corps en décor © Léo Balani

Les pas du défilé se transforment progressivement, deviennent de plus en plus stylisés, étranges, décalés. La scène se mue en dancefloor, monde de la nuit et de la métamorphose (la seconde version du mythe venant d’Ovide…) Des êtres androgynes émergent des duos aux échanges devenus explicitement érotiques. Le rythme s’empare des êtres, virtuoses dans leur capacité à circuler entre les identités. Une ultime figure fait penser à La Naissance de Vénus de Botticelli, être fluide puissamment pictural et poétique.

Bach to the basics

Des interpolations théâtrales jouées par les danseurs interpellent le public – PETITE DERNIÈRE de Claire Laureau et Nicolas Chaigneau – selon les codes du spectacle participatif, en soulignant les limites, avec une douce ironie. Leurs interventions jouent avec les représentations de la vie d’artiste les plus convenues, ses petites rivalités et hypocrisies. Un moment de grâce est cette « mise en partition » des Variations Goldberg de Bach. Les mains font de petites rotations, quand interviennent les notes aigues du piano, les pieds sautillant sur les graves. Puis, la première variation, au tempo vif, entraine le trio de danseurs dans un pas cadencé irrésistible, le jambes marquant avec une précision d’horloger les doubles-croches de la bande-son.

Un B, comme… Bach ? © Léo Balani

Le public, jouant dans un frisson palpable le jeu du happening, applaudit longuement la proposition de Josette Baïz et alii, traversée par un même fil conducteur : l’esprit et le corps ouverts à l’expérience de l’altérité, cette manière qu’a la danse d’agir sur la société, avec ses moyens propres.

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