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Carnet de voyage à Toulon : l’ode et l’odyssée

CONCERT – En accord avec le déplacement hors les murs de l’Opéra de Toulon, le théâtre historique étant en réfection pour deux ans, la saison symphonique de la maison lyrique fait la part belle au voyage, porté par les traces immatérielles de la musique. La super-soliste-maison, Laurence Monti, emporte son orchestre, sous le solide gouvernail du jeune directeur musical néerlandais Karel Deseure, sur les grandes vagues acoustiques de la scène.

De l’Orient à l’Occident, du Sud au Nord, du Nadir au Zénith

Le Palais Neptune, deuxième auditorium de la ville de Toulon, avec le Zénith, permet à la maison d’opéra d’effectuer un pas de côté vers la mer, les anciens parapets de la rade évoquant antiques odyssées et modernes équipées. Mais le vrai voyage ici est culturel, la musique étant en mesure, à sa manière, d’exprimer l’âme d’un territoire, de prendre langue et racine avec lui. Ainsi, le carnet de voyage est une œuvre en soi, qui emprunte aux formes de la musique classique : opéra, concerto et symphonie. La musique exprime les écrits et les images qu’un explorateur attentif à la beauté des mondes en retient, depuis un périple orienté, soumis aux points cardinaux. 

Les trois opus réunis par la programmation partent de l’Orient – Ouverture de Sémiramis de Rossini – pour aller vers l’Occident – Symphonie Écossaise de Mendelssohn – en passant par l’Europe centrale – Concerto pour violon K.216 de Mozart, salzbourgeois, mais dit « strasbourgeois » par Mozart. Le voyage permet de doucement bousculer le temps, le galant Mozart cédant sa place à la reine de Babylone, Sémiramis. La symphonie de Mendelssohn joue également avec la chronologie, la conception de l’œuvre s’étirant sur treize ans (de 1829 à 1842), alors que la composition de l’opéra Sémiramis n’aura pris que trente-trois journées au plus gourmand des compositeurs.

La caravane passe : Sémiramis de Rossini

Cette ouverture est déjà un concentré de voyage, depuis l’Italie vénitienne jusqu’aux antiques rivages d’un Moyen-Orient de légende. En outre, cette œuvre est, pour Rossini, son dernier opéra italien, avant son exil parisien. L’Orchestre de l’Opéra de Toulon plonge avec délice dans le grand bain du bel canto finissant. L’ouverture d’un opera seria tel que Sémiramis annonce les pyrotechnies vocales contenues dans l’œuvre entière. La baguette énergique de Karel Deseure se doit de faire crépiter et d’exhaler les ferments lyriques antiques de la partition. 

La gestuelle du chef mêle précision du trait et coloriage de la matière. Elle semble soucieuse d’allier le travail de la petite harmonie aux pizzicati transparents des cordes, comme des empreintes de chat sur le sable chaud de la scène. Les césures sont soulignées, ciselées, l’emballement typiquement rossinien constamment maîtrisé. Le va et vient conquérant des coups d’archets semble s’opérer depuis la projection des grandes mains de Karel Deseure, qui distribue l’énergie vitale de la musique avec générosité.

 

Mozart : de Salzbourg à Strasbourg

L’œuvre est un concentré de voyage, un voyage dans le voyage, puisque Mozart dit emprunter, dans sa correspondance, une mélodie populaire strasbourgeoise pour le final de son Concerto pour violon K. 216, sorte de pot-pourri à la française. La musique de Mozart est au centre du cercle, à son point d’équilibre, avec son langage tonal et les formes qui l’accompagnent, sa conduite mélodique et son expressivité, sa science de l’orchestration (hautbois et cors par deux, basson ad libitum) dans ses concertos. 

Le chef amplifie ici l’importance de l’orchestre, face à la soliste. Le tempo est au service de la légèreté des textures et de la respiration des pupitres. La gestuelle du chef se fait géométrique, triangulaire, calibrée, d’autant qu’il abandonne sa baguette, comme pour mieux prendre la phalange à bras le corps et la faire adhérer à l’impulse propre du violon solo.

© Kévin Bouffard

Côté soliste, la prise de son est vigoureuse, comme son abandon : l’archer décoche ses flèches. Laurence Monti, super-soliste de l’orchestre de l’opéra de Toulon depuis 2006, confère à la tenue de son instrument un rôle structurel. La violoniste entre de manière décidée dans la musique, à l’aide d’un bras gauche athlétique. Également conquérante, l’attaque du son se fait par le haut de la note, comme pour allumer la lumière sur la musique. La cadence de l’américain Sam Franko (1857-1937), que choisit Laurence Monti, met l’emphase sur l’ampleur expressive, voire fiévreuse, de l’œuvre, quitte à en quitter les rivages classiques. Un bis, réclamé rapidement par le public, est dirigé depuis l’archet par la super-soliste : la célébrissime Méditation de Thaïs de Massenet, avec la ligne plastique et étirée de son chant, ainsi que son voyage depuis le grave olympien jusqu’à l’aigu apollinien.

Mendelssohn et son hymne écossais

La deuxième partie de programme regarde du côté du romantisme de Mendelssohn, avec sa troisième et dernière symphonie. L’œuvre est également un concentré de voyage, un périple européen cristallisé, puisque Mendelssohn en a eu l’idée lors d’un voyage en Angleterre, au cours duquel il rencontra Walter Scott. C’est également un voyage en Italie qui interrompra la composition de l’œuvre, qu’il ne reprendra que douze ans plus tard, à Londres, alors qu’elle fut finalement créée en 1842 à Leipzig…

La musique paraît s’abreuver à la sève même des territoires arpentés. Depuis ses lignes continues et sinueuses, le compositeur semble vouloir exprimer l’entrelac sauvage et brumeux des landes écossaises, en particulier dans son premier mouvement, sombre et mélancolique. Le chef, natif des Pays-Bas, s’accorde comme naturellement avec cette musique nordique. L’ampleur désolée de la lande écossaise ne lui est pas étrangère…

Le classicisme, que vise constamment le chef, réside dans sa manière de calibrer la totalité de l’effectif orchestral et de sa diversité, depuis le pupitre des cordes – la transparence des violons et le miel ambré des violoncelles. La science des alliages sonores propre au compositeur est mise en valeur par la transparence du quatuor de cordes. Les pupitres ne dialoguent pas mais s’ajustent les uns aux autres, au sein d’un tout. Un chambrisme supérieur en éclot.  

Côté phalange, la clarinette s’impose dans le deuxième mouvement, avec sa gamme folklorisante et chaude, enrobée par le frémissement sylvestre des cordes. Dans le troisième mouvement, les instruments semblent s’adresser directement à l’oreille, le chef s’effaçant de manière savante, derrière la partition. Le final, vigoureusement rythmé, évoque la société clanique écossaise, ses chevauchées légères et fantastiques, ses fanfares majestueuses. 

Ainsi, un voyage peut en cacher un autre, dans ces œuvres gigognes. Leur dynamique géographique est consignée dans les correspondances des compositeurs, qui, tels des carnets de voyage, nous renseignent sur la place particulière que tenaient ces œuvres dans leur création. Le public, joyeusement déboussolé, applaudit par une scansion évoquant autant la marche de l’explorateur que l’avancée de l’aiguille d’une grande pendule, les trois escales musicales de la soirée.

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