COMPTE-RENDU – À l’occasion de la rétrospective Mark Rothko à la Fondation Louis Vuitton, un autre éminent MR a été convié : le compositeur Max Richter. En résidence dans ce lieu culturel, il a reçu la commande d’une création intimement liée à l’univers de cette figure de l’abstraction américaine. Dévoilée vendredi 24 novembre, l’œuvre, intitulée Unity Fields I, pour orchestre, piano et électronique a résonné dans l’auditorium. Nous y étions.
Un fan de Rothko
Rothko et la musique c’est toute une histoire mais Richter et la peinture s’en est tout une autre ! Quand l’un écoute avec intensité Mozart à en saturer son atelier, l’autre est fasciné par la profondeur des toiles du maître. Ces deux acteurs majeurs dans l’évolution de leur art possèdent un rapport inclusif aux autres arts. Rothko, mélomane et musicien amateur, a voulu transformer la peinture afin de la hisser « au même degré d’intensité que la musique et la poésie ». Son projet pictural était fortement lié à la musique et Richter en est fasciné.
Richter, lui, se nourrit et explore les formes plurielles de l’Art. Il compose aussi bien pour la danse, le cinéma, la télévision ou encore pour des créations scéniques. C’est d’ailleurs deux de ses musiques pour ballet qui encadrent cette création mondiale : The Waves : Tuesday, du ballet Woolf Works de Wayne McGregor (Royal Opera House) et Exiles, chorégraphié par Sol León et Paul Lightfoot (Nederlands Dans Theater).
Un espace uni mais complexe
Les deux artistes créent des paysages aux premiers abords uniformes, mais qui se découvrent peu à peu complexes et variés. Les trois œuvres de Richter ont en commun un style éthéré, des notes qui tombent successivement, qui scandent le temps et l’espace. Un balancier hypnotique qui s’ajoutent à la répétition de motifs musicaux aux variations très graduelles. Cette même subtilité d’évolution se retrouve aussi dans les toiles de Rothko qui possèdent une diversité de nuances dans les aplats de couleurs.
Des couches successives
Richter reprend la méthodologie du peintre pour Unity Fields I avec la superstition de couches itératives. Comme le peintre ajoute ses couleurs et matières, les claviers, les vents et les cuivres s’ajoutent petit à petit pour former une combinaison de différentes strates sonores. Les graves des violoncelles viennent ponctuer la séquence avant que des aigus creusent notre intériorité, les bassons et les cors appuyant ensuite un crescendo. Les violons alternent accompagnement doux et grondement menaçant et tapi. Un son toujours très cristallin et délicat comme les ondes des ronds dans l’eau est soutenu par le vibraphone, le marimba, la harpe et le synthétiseur.

Une magnifique immersion
Après le crescendo, les notes plus longues et appuyées, la pression s’essouffle, le tempo redescend tel une chape qui retombe lourdement et progressivement pour ne laisser que le vide, un silence bruyant. Cette partition ne laisse pas indifférent. Les deux MR réussissent brillamment leur défi et provoquent l’émotion en allant au-delà du langage trop restrictif. L’indicible nous envahit, c’est une rencontre du sensible, une voie directe vers l’émotion, vers le profond de notre être, un chemin vers le Soi comme dirait Carl G. Jung, influenceur de Rothko.
Créer cette musique vaporeuse, aérienne, intense et superbement profonde est une grande réussite pour Max Richter, ainsi que pour les interprètes du soir, les musiciens de l’ensemble Le Balcon. À leur tête, Matthew Lynch nous tient aux aguets tout au long de ces trois aventures, ses amples mouvements à la façon d’ailes déployées renforçant le flottement atemporel dans la bulle de l’auditorium. Un succès !
À retenir : deux autres dates pour le même concert, les 24 janvier et 20 mars 2024