COMPTE-RENDU – Annonçant le dépouillement aux simples lettres du titre déclaré provisoire, la chorégraphe Ayelen Parolin revient sur l’omission corporelle et l’impossible quête du silence avec un spectacle littéral présenté au Théâtre National Wallonie-Bruxelles.
Zonder, sans rien
Le Théâtre National Wallonie-Bruxelles accueille le dernier opus de la chorégraphe Ayelen Parolin, véritable délire psycho-physique aux limites d’une tourette chorégraphique. Loin des standards de la chorégraphie classique, Zonder ne pourra s’apprécier qu’avec un sens du triple degré et un amour total de l’absurde. Retour en enfance ou entrée à l’asile, la santé mentale est bien fine, et c’est sur cette ligne que voltigent trois danseurs. Si on vous a déjà dit que vous n’aviez pas d’humour, n’y allez pas…
Je souhaite que cette création prenne forme à la croisée de l’exaltation, de l’excès et de l’abondance, orchestrant un désordre chorégraphique, établissant un rituel absurde et extravagant où la musique et le rythme jouent un rôle majeur : libérer les interprètes de leurs ‘pensées’ pour les plonger dans l’irrationnel et l’imprévisible
Ayelen Parolin
Faire, c’est penser
Production typique de la danse qui ne se prend pas au sérieux, Zonder s’impose comme la claque qui vous rafraichit l’esprit et vous chauffe la joue. La phrase de Richard Sennett, Faire c’est penser, s’impose comme la phrase clé de recherche pour la chorégraphe argentine.
Adepte des titres efficaces, la chorégraphe avait présenté Simple (2021) et Weg (2023) lors des saisons précédentes. C’est au tour de Zonder de s’approcher du vivant et de ce qui reste en toute fin : accueillir simplement « ce qui est », laisser parler la contingence des corps et de l’esprit. Entre inné et acquis, les corps des trois danseurs viennent nouer un dialogue avec l’absurde des relations et des situations, témoin et critique de nos existences où nous avons tout.
Zonder, c’est la force irrépressible qui vous force à faire des choses absurdes quand vous vous trouvez seul chez vous, la petite voix de la folie qui résonne dans votre tête et qui vous fait vous parler à vous-même quand vous savez que personne ne vous regarde.
Zonder c’est la personnification de vos trois derniers neurones qui se battent en duel, de la petite voix, des fulgurances et des toc qui poussent chacun à se couvrir de honte parfois. Zonder c’est aussi la culture du meme, de notre ère post-internet qui a prouvé à notre modernité que l’humain pouvait être fou.
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— High Impact PhD Memes (@MemingPhD) July 26, 2021
La culture « meme » : l’art de l’absurde viral
Au commencement était le silence
Et l’Homme fut. Si la pièce se déroule principalement sans musique, un rythme est d’emblée proposé par les danseurs martelant le sol. En pleine création, un processus avait été lancé auprès des trois danseurs. Chacun pouvait ajouter la musique qu’il avait l’habitude de jouer et laisser le corps danser. De cette habitude, une archive des mouvements de danse sans prétention avait jailli, destinant la chorégraphie à se faire anthologie de gestes, cette fois-ci sans musique. Ne reste alors que les morceaux soufflés et fredonnés par les chanteurs à la respiration saccadée d’épuisement, martelant les rythmes au sol vibrant. Marquant les tempi, chacun s’accorde alors à la folie de l’autre, faisant et dé-faisant à la manière d’une valse en asile.
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Les trois neurones de l’apocalypse
Mené par trois danseurs sur une scène sans décor ni musique, le « rien » et le « sans » s’imposent. Mesurant leur entrée, chaque danseur annonce à son tour sa couleur et personnalité physique. Hésitante et ébahie, la timidité quitte progressivement les corps pour incarner les gags de personnages que certains sauront retrouver dans leur souvenir d’enfance.
- Tenue droit comme un piquet, les yeux en bille, les gestes précis, Daan Jaartsveld figure un Bip Bip (référence à BipBip et Coyotte) des plus versatiles. Les gestes amples et pourtant rapides du danseur habitué de participer aux chorégraphies d’Ayelen Parolin revient ici avec une énergie débordante. Détruisant progressivement la scène par mégarde, la folie s’installe, communicante.
- Innocente et débordante d’énergie, Naomi Gibson s’impose avec une grâce naturelle et un humour débridé. Mouvement de danseuse classique un peu rigide, twerk et danse contemporaine plus mainstream semblent occuper le corps de la danseuse qui semble combattre entre maitrise et folie.
- Piet Defrancq, que le public découvre timide en ouverture de pièce, s’impose progressivement avec une folie violente, martelant le sol et scandant des chiffres en Allemand. Autoritaire, despotique et pourtant capable d’élégants jetés de jambes en tutu, le danseur réussit à incarner l’ambiguïté humoristique, la contradiction à son apogée.
Afin de garder le secret de la fin de spectacle qui mérite d’être préservé (no spoil), nous n’aborderons pas le sujet de la conclusion. On notera la confiance du public très réceptif qui réussit un lâché prise digne de Bruxelles. Réputé pour être un public ouvert d’esprit, les rires et les éclats soulignent la liberté de création qui réside en territoire belge. L’occasion de rappeler que le pays a découvert en 2014 que son drapeau n’était pas présenté dans le bon sens, et ce depuis 1831. Vous avez dit absurde ?