COMPTE-RENDU – L’Opéra Bastille affiche pour la huitième série de reprises cette production des Contes d’Hofmann de Jacques Offenbach dans la mise en scène désormais presque légendaire de Robert Carsen avec l’interprète idéal actuel dans le rôle-titre, Benjamin Bernheim :
L’Hoffmann de sa génération
Il était une fois Les Contes d’Hoffmann, opéra inachevé en raison de la mort de Jacques Offenbach qui ne verra donc hélas jamais que cette œuvre le fit effectivement entrer dans la cour des grands compositeurs sérieux, ayant produit un tel chef-d’œuvre (exactement ce que visait ce maître de l’opéra-bouffe). Il était une fois et il était une 76ème fois dans cette mise en scène à l’Opéra de Paris : cette représentation à laquelle nous avons assisté à nouveau mais avec un ténor d’une qualité rare (sinon unique, actuellement). En 2000, cette production enchanteresse avait su immédiatement séduire le public, à la fois par son originalité et sa dimension pleinement féérique sinon poétique. Robert Carsen et ses équipes artistiques -Michael Levine pour les décors et costumes, Jean Kalman pour les lumières, Philippe Giraudeau pour la chorégraphie- avaient ainsi soigné à ce point chaque détail d’un spectacle qu’il n’a décidément pas pris une ride encore aujourd’hui (repris sous la supervision de Marguerite Borie).
Une poupée qui fait oui oui ouiiiii
Le plaisir du public demeure ainsi intact. Aussi bien dans les rires devant cette mécanique poupée Olympia, quelque peu libertine, sinon presque nymphomane, qui n’hésite pas à chevaucher sur une carriole le “pauvre” Hoffmann débordé par l’affaire ; et aussi bien devant la surprise émue à l’acte de Venise devant ses sièges comme transportés de la salle du Palais Garnier qui ondulent en se déplaçant d’un côté l’autre, alternant de rangée en rangée, comme pour naviguer sur le Grand Canal au son de la fameuse Barcarolle.
Un ténor peut en cacher tous les autres
Alors conçue autour de la personnalité étourdissante de Natalie Dessay dans le rôle d’Olympia, la production d’origine bénéficiait de la présence royale de Samuel Ramey dans les quatre rôles diaboliques. Quant au rôle-titre, depuis Janez Lotric à l’origine, de nombreux ténors s’y sont frottés avec plus ou moins de bonheur, de Marcus Haddock au fiévreux Neil Shicoff, de Rolando Villazon à Ramon Vargas, ce dernier venu remplacer in extremis un Jonas Kaufmann pourtant furieusement attendu (mais qui n’a toujours pas pris ce rôle). Mais seul Benjamin Bernheim peut se targuer de posséder à ce stade de carrière toutes les qualités requises pour incarner ce personnage tourmenté et riche de désillusions. Outre une prononciation du français parfaite -ce qui est loin d’être de cas de ses principaux partenaires-, il se singularise par la beauté de son émission vocale, sa projection lumineuse en salle même durant ses mezza voce, le soutien constant à la ligne de chant et la splendeur de ses aigus. Benjamin Bernheim aborde le personnage dans toutes ses facettes et ses chagrins, ses sensibilités, cultivant par ailleurs ses côtés plus sombres ou plus légers. Avec les ans, son aisance en scène s’est fortement améliorée sans pour autant rejeter son naturel d’origine et sa simplicité. Sa prestation lui a valu une ovation des plus sonores et enthousiastes de la part du public présent.
Si les histoires narrées et mises en abyme dans ces Contes d’Hoffmann sont entre rêve et réalité, la voix de Bernheim aussi, si elles plongent dans un univers incertain, une chose est sûre : l’impact de la prestation de ce ténor.
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Pretty Woman
Petty Yende (née dans un township Sud-Africain, et qui raconte justement son parcours comme un conte de fée, avec le mot-clef #PrettyJourney sur les réseaux sociaux) s’empare avec aisance et facilité au plan scénique du personnage décalé d’Olympia, mais se singularise aussi au plan vocal par une justesse bien approximative et une émission souvent un peu basse. La voix importante de Rachel Willis-Sorensen peine un peu à se glisser dans les habits plus lyriques d’Antonia, notamment dans l’air d’entrée Elle a fui la tourterelle. Mais elle incarne le personnage avec sincérité et les duos avec Benjamin Bernheim sont justes électrisants. La Giulietta capiteuse d’Antoinette Dennefeld remplit bien son office de tentatrice fascinée par les diamants et plus encore par elle-même. Par contre, Angela Brower ne donne qu’une faible idée du double personnage de Nicklausse et de la Muse, sa voix passant bien difficilement en salle.
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Diables !
Si la prestation vocale n’est pas féerique pour tout le monde, elle sait pour d’autres se faire justement diabolique. Christian Van Horn met ainsi ses moyens importants de baryton-basse au service des personnages maléfiques auxquels il confère une juste autorité basée sur la profondeur du timbre et la variété des couleurs. Et Sylvie Brunet-Grupposo tire la Mère d’Antonia vers le haut avec cette apparition captivante en forme de spectre, tandis que Leonardo Cortellazzi s’en donne à cœur joie dans les quatre rôles de valet.
Pour ses débuts à l’Opéra-Bastille, la cheffe Eun Sun Kim propose une lecture très attentive de la partition d’Offenbach, soucieuse de l’exactitude des départs et du rendu des atmosphères, quoique un peu sage cependant : sa baguette n’est pas magique, mais elle est précise et l’Orchestre et les Chœurs de l’Opéra répondent parfaitement à ses desideratas… menant vers les vivats du public, acclamant cette production avec la féerique chaleur de cette période festive.