CONCERT – En visite au Grand Théâtre de Provence, le Poème Harmonique de Vincent Dumestre présentait son programme croisé très versaillais : Lully et Charpentier. Deux Te Deum pour le prix d’un !
Le chœur et ses artères
La conception d’un programme chez Vincent Dumestre et son Poème Harmonique relève d’un geste à la fois créatif et documenté. Il puise dans les répertoires établis pour les revivifier, depuis la force d’une interprétation scénographiée, mise en espace comme un grand cœur, avec ses artères, ses pulsations régulières et son pouvoir moteur.
Cette quête musicale trouve son expression la plus emblématique, depuis 2011, avec un programme thématique : Te Deum. L’un, au plain chant anonyme, ouvre la marche, tandis que les deux autres, officiels grands motets versaillais, scintillent dans un firmament monarchique soumis aux âpres concurrences de la société de cour : les Te Deum de Marc-Antoine Charpentier et de Jean-Baptiste Lully. Le Te Deum est un chant de louange, de gratitude, entonné à l’église ou sur un champ de bataille. D’où une musique qui souligne le dramatisme d’une émotion religieuse authentique, et en même temps l’ego individuel, celui du monarque et du compositeur.
Charpentier : Versailles montre patte noire
Le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier, composé en 1692, est son opus le plus célèbre aujourd’hui, encore vif dans les mémoires en tant qu’indicatif de l’Eurovision. Il impressionne par la martialité de ses séquences pleines (timbales et trompettes), qui alternent avec des numéros aux textures plus fines (flûtes et hautbois).
La pâte sonore, expressive et sombre, oppose grand chœur et petit chœur de cinq solistes : Amélie Raison, soprano, Anaïs Bertrand, alto, Paco Garcia, haute contre, Cyril Auvity, ténor et Victor Sicard, baryton. Tous excellent à mettre leur art vocal au service de la célébration collective : émanations ponctuelles du chœur chargés de mettre en vibration tel ou tel extrait de la parole. Ce dispositif ne joue pas seulement sur l’effet de contraste, entre solennité et intimité : il permet de s’épanouir dans la souplesse, l’étirement, la plasticité, la sensualité des textures, mises au services d’un Verbe toujours clairement audible. Telle est l’orientation de l’interprétation proposée par Dumestre.
De longues plages sonores, accompagnant les dissonances jusqu’à leur résolutions, entrent dans la chair de la musique. Certains mots, dont un Miserere, demande de pitié, jaillissent de la polyphonie, et entrent dans le jeu savant de l’imitation. L’interprétation sereine qu’en donne Dumestre montre combien, chez Charpentier, le tissage musical du temps-qui-passe est affaire de contemplation. C’est donc moins la transparence que la plénitude du « son » que recherche Dumestre : véritable défi dans un ensemble baroque réunissant un cénacle de solistes.
Lully : Te Deum au pied du sapin
Le Te Deum de Lully, musique de cour, officielle et instituée, est paradoxalement plus intime que le motet de Charpentier. La célèbre et funeste anecdote de sa création est relatée par Vincent Dumestre : Lully, lors de la dernière représentation du Te Deum pour célébrer la guérison du roi, plante son bâton de direction dans son pied. La gangrène qui s’ensuit lui sera fatale. Dumestre est tranquille : le bâton n’est plus à la mode aujourd’hui…
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Sa gestuelle se pare d’une autre énergie que chez Charpentier, plus théâtrale, comme si les deux compositeurs mettaient en musique un latin différent. La polyphonie est plus dense et décorative, avec un petit chœur étoffé de neuf solistes, des vocalises davantage virtuose, , une métrique régulière et des effets d’écho. De longs sons filés au chant et à l’orchestre, sonnent comme des plaintes, des flèches décochées par la musique en plein cœur. C’est là que la subtilité du chef intervient, avec une battue à la fois solide et libérée, pour servir une musique plus officielle et sure d’elle-même, et qui emprunte son inspiration à la tragédie lyrique : l’opéra à la française. L’impression d’ensemble est que la musique de Lully est à plusieurs vitesses, comme on le dit d’un véhicule, que le chef sait passer, selon une conduite manuelle précise et sportive.
L’expression de la louange est au cœur des œuvres programmées, mais elle se double de celle de l’espérance avec un bis., Ode on the Death of Henry Purcell.