DANSE – Le Béjart Ballet Lausanne offre le temps de quatre soirées au Palais Garnier plusieurs pièces centrales de Maurice Béjart, mais aussi une création récente du directeur artistique de la compagnie, Gil Roman, intitulée “Tous les hommes presque toujours s’imaginent”, le tout sur des musiques enregistrées.
Voyages, Voyages…
Malgré les grandes difficultés administratives rencontrées ces dernières années et la fermeture de son École-Atelier Rudra à l’été 2021, le Béjart Ballet Lausanne poursuit activement ses activités et revient sur la scène de l’Opéra national de Paris au terme de 14 années d’absence (alors que la maison le rappelle, le “compagnonnage de Maurice Béjart avec l’Opéra national de Paris aura duré plus de quarante ans et offert au répertoire de l’institution plus d’une vingtaine de pièces”). La compagnie poursuit ainsi son parcours, son voyage, son épopée dans la filiation et à l’image justement de son maître inspirateur.
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Tous les hommes en hommage à Maurice Béjart
Créé à Lausanne en 2019, le ballet chorégraphié par Gil Roman, Tous les hommes presque toujours s’imaginent s’appuie sur un texte de l’écrivain suisse Ludwig Hohl et surtout une musique assez composite, du compositeur américain contemporain John Zorn. Ce dernier juxtapose ici -sur une durée d’une heure environ- les différentes inspirations plurielles qui influencent son œuvre dense et imposante, de la musique résolument contemporaine aux accents du jazz ou aux senteurs de l’orient voire espagnoles : voyages encore, voyages toujours… La filiation avec l’explorateur de toutes les formes de musique et de cultures que fut Maurice Béjart (né à Marseille en 1927, mort à Lausanne en 2007) se reflète dans ce ballet interprété au sein d’un décor épuré, minimaliste. Gil Roman, grand admirateur de John Zorn, expose tout un univers qui s’inspire indéniablement de la grammaire de son maître en danse sans vouloir “tuer le père” ni le réfuter. Son approche s’en distingue cependant par une sorte de simplicité nouvelle et de limpidité dans la gestuelle et les mouvements des pas de deux notamment ou durant les multiples ensembles. L’approche virtuose met parfaitement en valeur la troupe du Béjart Ballet Lausanne, en premier lieu la rayonnante et sensuelle Jasmine Cammarota et Vito Pansini danseur de caractère à la technique irréprochable, presque constamment en scène durant tout le ballet, un réel exploit.
Béjart aux quatre coins de monde
Maurice Béjart se moquait des frontières et des cloisonnements. Son imagination incessante puisait aux sources de tous les univers musicaux et aux apports de l’ensemble des civilisations sans discrimination aucune. Ainsi le ballet Bhakti III a été écrit sur des envoûtantes musiques traditionnelles indiennes et fut créé en juillet 1968 dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes pour le Festival d’Avignon. Un duo et deux variations marquent cette pièce certes courte, mais d’une grande difficulté entre équilibres savants et postures proches de l’acrobatie. Dans le cadre de tout ce spectacle, de toute cette soirée, où chaque nom d’interprète est suivi -au programme- d’une parenthèse indiquant son pays, là encore dans un vertigineux tour du monde, la prestation de la danseuse japonaise Mari Ohashi (incarnant Shakti) impressionne par la maîtrise totale qu’elle déploie, mais reste tout de même assez froide. Son partenaire Alessandro Cavallo (Shiva) possède ces mêmes qualités avec toute la chaleur requise et une plus grande proximité expressive avec le spectateur.
Duo, extrait de Pyramide-El Nour, grand ballet de Maurice Béjart créé en 1990 à l’Opéra du Caire, s’avère bien plus lyrique et ardent. La musique traditionnelle islamique utilisée permet à l’allemande Valerija Frank, modèle de grâce et de tenue, de s’associer à Julien Favreau, danseur historique de la Compagnie et toujours d’une confondante aisance à la scène. Le voyage se poursuit avec Dibouk, daté de 1988 et présenté alors à Jérusalem, Béjart fait appel à la musique juive orthodoxe et s’inspire de la Kabbale. Dorian Browne est habillé de façon traditionnelle et porte la Kippa, tandis que la jeune fille qui l’accompagne, Kathleen Thielhelm, est vêtue d’une robe d’un blanc immaculé. Ces deux personnages associés portent en eux l’image de la beauté et de la jeunesse, mais comme sur un ton mélancolique, voire presque éperdu, que la chorégraphie inspirée de figures de la danse juive traditionnelle accentue. 7 Danses Grecques concluent le périple, baignées par la musique pénétrante et scintillante de lumière de Mikis Theodorakis. Toutes les senteurs et les beautés spectaculaires de la Grèce enflamment ce ballet sans que pour autant Maurice Béjart ne cède aux sirènes d’un folklorisme trop étroit.
Toute la troupe du Ballet Béjart Lausanne participe de la fête et de la joie ambiante, alternant les ensembles, les pas de deux et les parties solistes, tout en mettant en avant la plasticité et la beauté des interprètes et leur enthousiasme toujours renouvelé. La prestation du soliste colombien Oscar Eduardo Chacón, à la fois aérien et sensuel, enthousiasme le public dans sa partie solo. Cette soirée aux fastes multiples réaffirme l’universalité et la curiosité tant de l’homme Béjart que du chorégraphe. Les spectateurs du Palais Garnier éblouis eurent de fait du mal à quitter la salle ! Comme il est difficile de rentrer d’un beau voyage…