CONCERT – Sous la baguette de Keri-Lynn Wilson, l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine avait rendez-vous avec Chostakovitch, pour un des derniers concert de sa saison symphonique, avant de retrouver son nouveau directeur musical à la rentrée.
Une heure, montre en main. Alors quoi, l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine avait un train à prendre ? Une réservation au resto pour manger en terrasse ? Assez peu probable, vu la météo actuelle sur la capitale girondine… En fait, si le concert était si court, c’est surtout parce l’œuvre jouée est incroyablement dense, et follement éprouvante pour les musiciens : la Symphonie n°10 de Dmitri Chostakovitch. 45 minutes de musique qui demande une concentration absolue, avec ses effets de contraste, ses couleurs tantôt glauques, tantôt explosives. Une partition pour l’Histoire, qui se suffit à elle-même et qui contente les appétits des plus voraces.
1953 : coup de tonnerre !
En 1953, la Russie connaît son premier moment d’ouverture, depuis la période sanglante et archi-totalitaire des années 1930-1940. Si vous avez révisé votre manuel d’Histoire, vous savez que 1953, c’est l’année de la mort de Staline. On devrait jamais se réjouir de la mort de quelqu’un… Mais pour Dmitri Chostakovitch, qui s’est toujours fait traiter de contre-révolutionnaire (déshonneur suprême) et menacer de petites expéditions au Goulag, cette année est un peu celle du renouveau et d’une liberté de ton retrouvée, qu’on croit percevoir dans sa Symphonie n°10. La musique suggère l’oppression stalinienne, et peut-être qu’il y a dans l’obsession répétée du thème DSCH (Ré – Mib – Do – Si), signature musicale de « Chosta » en pied de nez à tyran disparu, alors que Chostakovitch est bien vivant. Une sorte de crypto-nananère…
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Tempête sous un crâne
Comme d’habitude avec Chostakovitch, il y a donc plusieurs niveaux de lecture à cette musique. Une ligne magnétique relie tous les pupitres, pour un résultat hypnotisant qui dont la baguette de Kerri-Lynn Wilson est le pendule. Avec une concentration absolue et un engagement total, la cheffe canadienne conduit l’orchestre dans les méandres de l’esprit de cette symphonie. Elle qui a dirigé le chef-d’œuvre de Chostakovitch d’opéra (Lady Macbeth du district de Mtsensk) au Metropolitan Opera House de New York connaît bien le fonctionnement de cette musique. En bonne psy, elle analyse l’inconscient de la partition pour en tirer la moelle historique, souvent cachée dans la pudeur légendaire de son compositeur. Pour un concert éclair, elle reçoit évidemment… un tonnerre d’applaudissements !