COMPTE-RENDU – Composé par le violoncelliste Dominique de Williencourt, présentant des sculptures de Guillemette de Williencourt, « L’Apocalypse d’Icare » aura plongé à pic dans des tribulations musico-spirituelles, au risque de plonger franchement dans l’ennui :
Le personnage et le mythe d’Icare aurait pu inspirer bien des trames narratives à cet opéra. Le propre père de ce héros prompt à se brûler les ailes sut ainsi inspirer, avec le fameux « Dédale » qui porte son nom, l’une des créations lyriques importantes de ces dernières décennies, et celle qui aida un héros à triompher du-dit labyrinthe en fut au moins récompensée, sur le fil, par un opus (perdu mais dont il nous reste le sublime Lamento) du premier génie de l’Opéra.
Mais où est donc Icare ?
Mais cette création donnée en ce mois de mai 2024, « L’Apocalypse d’Icare » s’intéresse plus à l’Apocalypse qu’à Icare. Cet opéra profite pourtant de ce lieu (le Cirque d’Hiver Bouglione où de telles œuvres devraient être bien plus souvent proposées), en installant, tel un funambule, une sculpture d’Icare au faîte du chapiteau. Tête vers le bas, il semble prêt à descendre, il le fera dès les débuts du spectacle, ni assez vite pour donner l’impression d’une chute, ni assez lentement pour laisser le temps de comprendre ce que le spectacle va bien pouvoir proposer ensuite. D’autant qu’Icare descend plus bas que terre, le cercle au centre de la piste descendant encore, faisant disparaître le mythe, ou plutôt la sculpture dans le sous-sol.
Sa chute a toutefois le temps d’être déclinée en quatre temps : l’occasion de se remémorer (comme juste avant la mort le film de sa vie qui défilerait à l’envers) d’abord « La Vieillesse », puis « La Maturité », « La Jeunesse » et enfin « L’enfance ».
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La chute de cet Icare version Benjamin Button dure ainsi moins d’un cinquième de la durée de ce film, et le voici donc déjà passé des cieux aux enfers… il reste pourtant encore trois-quarts de la durée prévue du spectacle (et davantage encore, la soirée dépassant largement le minutage annoncé). La suite de la soirée sera occupée par l’entrée en piste de sculptures, d’abord de femmes à corps de juments (ou inversement) au nombre de quatre (une référence -non expliquée elle aussi- aux Quatre Cavaliers de l’Apocalypse mais qui iront sagement à l’entracte se ranger dans les écuries de ce cirque Bouglione), puis d’une sorte de dragon-hydre à sept têtes de serpents : autant de symboles que le texte n’aidera pas à connecter avec l’histoire d’Icare.
Héloïse Bourdon, première danseuse à l’Opéra de Paris, propose un solo entre ces sculptures, mêlant avec ses tours classiques, des références à l’Orient dans certaines souples évocations de roseau.
Un Hic, car…
La chute de l’attention du public semble plus rapide encore que celle d’Icare, en raison de ces multiples références et surtout car elles ne sont pas reliées entre elles, ni par le texte, ni avec la musique. À ce titre, paroles et sons ont toutefois ce point en commun : tous deux enchaînent des phrases sans liens les unes avec les autres. Le livret multiplie les aphorismes bibliques comme la musique multiplie les références diverses (en fait puisées par Dominique de Williencourt dans ses voyages).
L’orchestre classique qui trône dans la grande loge surplombant la piste est tiraillé entre les rythmes d’un djembé (dont l’instrumentiste frappe parfois sur un gong) d’un côté, et de l’autre une batterie. Les rythmes jazzy cèdent la place à des mesures rythmées à la Stravinsky, puis des mélodies aux couleurs orientales, des passages symphoniques post-romantiques,…
Fort heureusement, des musiciens s’extraient de cette loge et descendent sur la piste pour déployer des solos à la démonstration virtuose impressionnante. Emmanuel Rossfelder déploie à la guitare de véritables « études » (pièces virtuoses), Florent Héau joue de la clarinette et des claquettes (la proximité des statues équestres faisant toutefois plus penser à un trottinement). Le duo de flûtes fait merveilleusement voyager dans les subtilités tonales (entre Jean Ferrandis à la flûte, et à la flûte à bec le chef de chœur Jean-Christophe Hurtaud).
Mais la plus forte impression est laissée par le chef d’orchestre de l’Open Chamber Orchestra, Yaïr Benaïm qui propose une démonstration de rigueur à la baguette… et de virtuosité à l’archet : en prenant son violon pour une cadence virtuose de concerto.
Le baryton-basse Adam Barro incarne le prophète, habillé comme tel. Le fait qu’il tienne toujours en main sa partition n’est pas en soi si dérangeant dans la mesure où il pourrait effectivement vouloir toujours prêcher en tenant son texte sacré… le souci est qu’il s’y accroche sacrément ! Son chant sait se faire solennel mais sa prononciation déforme toutes les paroles (rendant la présence des sur-titres indispensable pour se rendre compte de combien le texte est en lui-même peu intelligible).
Sébastien Guèze, qui incarne Icare (donc en double d’une statue) rend lui aussi des paroles doublement inintelligibles, ce qui est assez incroyable, pour qui connaît les qualités habituelles de ce chanteur français d’opéra. Il n’est pas à blâmer, bien au contraire, il pèche en voulant trop bien faire : il donne en effet toute la plénitude de sa voix à toutes ses interventions, alors que sa partition est « inchantable », très et trop aiguë. Son ténor ne perd pourtant nullement en endurance (le son de tous est amplifié par microphones, ce qui est pour lui complètement inutile), il ne perd pas non plus le moindre rayon de ses couleurs solaires, et le public ne peut qu’admirer sa dévotion pour cette œuvre qu’il a (lui) apprise pleinement par cœur (bien d’autres s’y seraient carbonisé les ailes). Finalement, Icare (la sculpture) ressortira du sous-sol mais cette fois la tête vers le haut, en figure christique sur deux rayons de soleil brûlant. C’est toutefois le ténor qui peut garder la tête haute (même s’il semble se perdre complètement dans le jeu christique halluciné qui lui est proposé).
Icare n’est toutefois pas seulement dédoublé mais triplé, le jeune Théodore de La Roncière chantant Icare enfant avec la beauté des voix de la tradition des maîtrises britanniques (une pointe de souffle sur un son tendre mais placé, avant que n’arrive le trac).
La soprano solo Armelle Marcq s’élève aussi vers les aigus, sans se brûler les ailes vocales, mais s’efface dans le grave.
L’hétérogénéité de la prestation des choristes est aussi bien liée à la technique (leurs microphones semblent tous réglés différemment et de différentes qualités) qu’aux styles très différents de l’écriture vocale (faisant le grand écart entre des chorals à la manière de Bach, et de la musique minimaliste avec onomatopées répétées).
Le récitant Phillipe Murgier ponctue la soirée d’une narration à la voix posée, équilibrée et vivante.
Petit oiseau si tu n’as pas d’ailes
Au final cette « Apocalypse d’Icare » aura aussi permis de plonger dans des moments de virtuosité, un peu comme autant de coups d’ailes pour s’élever parfois de la chute dans l’ennui.
Mais c’est aussi le lot de projets ambitieux : parfois, ils se brûlent les ailes.