CONCERT – Retransmis sur toutes les places de la ville, dans la région (et même à Munich et Los Angeles) le concert de rentrée de l’Opéra National de Bordeaux était un moment fort en émotion. On voit rarement un chef adopté aussi vite par son Orchestre et son public. Joseph Swensen a réussi, en une Neuvième de Beethoven, à se faire aimer des deux à la fois. Prenez vite vos places pour la saison : l’auditorium de Bordeaux risque d’être bien rempli cette année !
Dans le monde des symphonies de Beethoven, il y a de la sacrée musique, certes, mais il y a aussi des paroles ! Celles de la 5ème : « pom pom pom pom », ok ça c’est facile. Mais la 9ème alors ? Certes on passe notre temps à y voir de la joie, de la fraternité, à la répandre de programme télé en célébrations officielles, mais est-ce qu’on en connaît si bien le texte ? Heureusement, pour sa rentrée et le lancement de sa saison, l’Opéra de Bordeaux et l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine nous ont offert une soirée qui éclairait chaque vers de ce poème que Schiller a imprimé dans nos consciences européennes, mondiales, universelles. Le tout sous la protection de Beethoven et la direction de son avatar du soir : Joseph Swensen.
« Joie, belle étincelle divine »
C’est déjà l’image de ce début de saison à Bordeaux, l’étincelle qui va embraser la saison de l’Opéra National de Bordeaux, et de son Orchestre National Bordeaux Aquitaine. Le café où se retrouve l’orchestre pour boire un verre après le concert n’est pas très loin de l’auditorium. Il est environ 22h30, les première pressions y sont déjà descendues, et les conversations joyeuses fusent sur la terrasse quand Joseph Swensen sort par l’entrée des artistes et passe devant ses collègues, sur le trottoir d’en face. Dans le même élan qui les a conduit vers le sommet de jouissance du concert, les musiciens posent leurs verres pour applaudir, et suspendent leurs conversations pour acclamer celui qui les a fait vibrer si intensément ensemble. Deuxième standing ovation de la soirée pour le chef !
« Nous pénétrons avec un ardent enthousiasme dans ton sanctuaire »
La première a eu lieu un peu plus tôt, à la fin du concert bien sûr. Dans le sanctuaire bordelais de l’orchestre, plein comme un œuf, le public a applaudit pendant 15 minutes (montre en main) tous les artistes de la soirée, ivre de musique et de plaisir. Personne ne voulait se dire au revoir, les solistes et le chef multipliant les sorties depuis la régie, sans que les décibels ne baissent d’un cran. Pour le dernier passage, Swensen sort en tête, puis se retourne pour demander aux autres de le suivre. Mais il ne trouve alors que le sourire du régisseur plateau qui lui fait signe de s’avancer seul pour profiter de l’ovation. C’est exactement ce que le public attendait : à peine a-t-il posé le pied sur son podium que les « hourra » pleuvent sur lui, chaleureux, répétés et sincères. Il ouvre grand les bras pour recevoir, ferme les yeux pour profiter et reste comme ça pendant quelques secondes de communion intense avec son nouveau public, conquis.
« Ton enchantement unit de nouveau ce que les conventions séparaient »
Mais qu’est-ce qui a conduit le public de Bordeaux dans cette ivresse ? Sûrement l’attitude généreuse déjà vue la saison dernière, avant que Joseph Swensen ne prenne officiellement ses fonctions de directeur musical de l’Orchestre. Mais, sûrement aussi, sa version de la grande Neuvième de Beethoven, et son travail au pupitre. Swensen a une façon si magnétique de diriger, si engagée qu’aucun musicien ne peut se sentir exclu d’un collectif. qui tire dans une seule direction, et sert une cause majeure : la musique ! Swensen n’est pas une star égocentrée qui cherche à garder ses musiciens en laisse dans la tension de sa battue et s’il est si intense dans ses gestes, c’est qu’il est traversé de musique de toute part, et que le poids du son l’envahit à chaque note. Dans le final en apothéose de la symphonie bien sûr, mais aussi (et c’est là que ça se remarque le plus), dans des détails qui échappent aux musiciens d’ordinaires.
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« Tous les humains deviennent frères, là où plane ton aile si douce »
La preuve avec ce troisième mouvement, qu’on a l’habitude de regarder comme une espèce de pause avant le main-event, de temps calme avant la tempête, et qui là, dans l’arc tendu de Swensen, se transforme. Le tempo est volontairement lent, le geste pesant. Résultat : cette longue phrase s’étend dans les trois dimensions de l’espace, comme une vague filmée au ralenti qui inonde peu à peu chaque instrument entrant dans le bain, jusqu’à transformer la salle en un aquarium géant où chaque note devient un petit cristal de lumière. Quand arrive l’apothéose du dernier mouvement, l’auditorium alors immergé est prêt à entrer en apnée, à retenir son souffle pour se laisser envahir complètement par les courants profonds de la musique. Les corps ne pèsent plus rien, les âmes sont lavées de la noirceur des temps, la communion est totale entre la salle et la scène, et personne n’a envie de sortir la tête de cette eau-là…