COMPTE-RENDU — En chorégraphiant l’histoire d’amour tragique entre Didon et Énée sur la musique de Purcell, Blanca Li nous plonge dans un bain d’émotions contemporain : exit les sandales et les toges, bienvenue aux maillots de bain et aux glissades sur l’eau pour cette création qui éclabousse dans une atmosphère de clair-obscur.
La danse au cœur de l’opéra
Après avoir fait sensation au Festival « Cadences » à Arcachon, Blanca Li, la chorégraphe andalouse et nouvelle Présidente de La Villette depuis quelques semaines, débarque sous l’espace Chapiteaux avec une relecture dansée de Didon et Énée, opéra du compositeur anglais Henry Purcell. Ce projet créé avec Les Arts Florissants de William Christie se poursuit désormais avec leur bande-son enregistrée, focalisant davantage l’attention sur la danse comme vecteur de narration et d’émotion. L’histoire (tirée de L’Énéide de Virgile) est ici condensée en une heure : de l’amour à l’abandon, de la vie aussi.
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Glissades sur l’eau, Bain d’émotions
Pour raconter cette histoire d’amour, Blanca Li opte pour une mise en scène épurée, fruit d’une collaboration avec Pierre Attrait et Nina Coulais, qui oscille entre coucher de soleil et flaque d’eau géante, ponctuée de glissades spectaculaires. Sur ce plateau noir dépouillé, surnage l’émotion à l’état pur, avec une certaine lisibilité. L’expressivité des corps des danseurs ferait même oublier les paroles de l’opéra, offrant une narration visuelle intéressante. D’emblée, la chorégraphe séduit avec son prologue captivant : les danseurs imitent les gestes des musiciens, leurs bras ondulant en guise d’archets, créant l’illusion d’un orchestre vivant. Rapidement le plateau se transforme en vaste étendue aquatique sublimée par les jeux de lumières de Pascal Laajili. L’eau devient l’élément central de cette chorégraphie évoquant tour à tour, le passage où Énée échoue sur la plage et l’orage déclenché par les sorcières sur le port de Carthage. Dans cet environnement aquatique, les danseurs quittent leurs jupettes noires pour des maillots de bains de la même couleur, symbolisant la tragédie à venir. La scène, transformée en piscine géante, les danseurs déploient leurs bras et leurs jambes, s’élancent sur le sol mouillé et leurs bustes ondulent pour imiter les mouvements des poissons. Bref des glissades spectaculaires !
Un mélange de style
La chorégraphie fusionne danse contemporaine et mouvements classiques avec du krump, du break et même quelques gestes empruntés au voguing : des tableaux forts, comme figés dans le temps, et parmi eux, une scène d’amour particulièrement marquante où Énée et Didon s’unissent de façon explicite sous des lumières orangées, entourés par les autres danseurs, évoquant l’esthétique de Preljocaj. Mais c’est la scène finale qui nous marque le plus. Le corps d’Énée glisse sur l’eau, sauvé par un ensemble de danseurs formant une barque en mouvement. Cette embarcation vivante, créée par des glissades sur un genou, emporte Énée loin de Carthage. Le mouvement de va-et-vient de cette barque, rejetant parfois Énée pour mieux le reprendre, amplifie le désespoir chez Didon, figée de douleur à l’avant-scène.
Bien que le récit soit parfois difficile à suivre, Blanca Li crée indéniablement une atmosphère magique et intime, renforcée par le bruit d’une pluie torrentielle sur le chapiteau en ce jour de première, ajoutant une touche presque surnaturelle au spectacle. Un bain d’émotions assez rafraîchissant qui nous donne envie de tester les glissades sur l’eau à défaut de vivre une histoire d’amour tragique.
