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Ladislas Chollat : « Les Misérables sont un mythe fondateur »

ENTRETIEN – Ladislas Chollat, à la mise en scène des « Misérables » qui a fait salle comble chaque soir au Châtelet fin 2024, avec des retours dithyrambiques dans la presse, revient sur son parcours, qui l’a mené du théâtre à la comédie musicale et bientôt au cinéma. Il évoque également son admiration pour l’œuvre de Victor Hugo et sa rencontre avec Florian Zeller, l’un des auteurs français les plus talentueux du moment. Entretien avec un metteur en scène incontournables de la scène parisienne, qui sera de retour avec La Vérité de Florian Zeller au Théâtre Édouard à partir du 25 janvier.

Qu’est-ce qui vous a mené vers la comédie musicale ?

Je viens du théâtre, où j’ai mis en scène beaucoup de pièces. Ma venue à la comédie musicale s’est faite grâce à Julien Clerc, qui venait voir mes spectacles. Son agent de l’époque, Bertrand de Labbey, me l’avait présenté, car il voulait qu’on écrive une comédie musicale ensemble. Nous avons travaillé sur ce projet. À cette occasion, j’ai commencé à aller à Londres pour voir des comédies musicales et m’intéresser à ce genre. Finalement, notre collaboration ne s’est pas concrétisée, mais j’ai mis en scène plusieurs de ses concerts, et j’ai continué dans cette voie. Ensuite, on m’a proposé de collaborer avec Frances Gall sur Résiste, puis Oliver Twist, Molière et enfin Les Misérables. J’ai monté seulement quatre comédies musicales, car ce sont des projets qui demandent beaucoup d’énergie.

En quoi mettre en scène une comédie musicale diffère d’une pièce de théâtre ?

Ça dépend des comédies musicales. Certaines sont très dansées, alors que d’autres comme Les Misérables sont essentiellement chantées, avec quelques moments chorégraphiés. La principale différence réside dans l’ampleur du projet : une comédie musicale implique plus de personnes, plus de corps de métiers, et par conséquent, plus de travail. C’est une troupe beaucoup plus large avec plus de compétences. Dans Les Misérables, près de 100 personnes travaillent ensemble chaque soir, car on a la chance d’avoir un orchestre aussi ! C’est une grosse entreprise, contrairement au théâtre, en général hébergé par de plus « petites » structures.

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L’autre différence est la musique, qui est à la fois source d’inspiration et de contraintes. Pour moi, c’est un vraie aide. Je n’ai encore jamais mis en scène un opéra, mais j’apprécie particulièrement les temps de répétition, qui me semble plus courts pour les opéras, même si j’écris ma mise en scène. Mais ça m’intéresse beaucoup. De toute façon, ce qui m’attire, c’est tout ce que je ne sais pas faire. Explorer ses zones d’incompétence, c’est ce le plus intéressant dans une vie d’artiste.

Quel a été votre parcours d’apprentissage ?

J’ai d’abord débuté dans le théâtre amateur sans n’avoir jamais fait d’école de théâtre. J’ai créé ma propre troupe, où j’ai fait de la mise en scène. Progressivement, cette troupe s’est professionnalisée, et nous avons tous appris sur le tas. Issu d’une famille nombreuse aux moyens modestes, je n’avais pas l’occasion d’aller au théâtre durant mon enfance. C’est au sein de ma troupe que j’ai développé une passion pour cet art. En 4ème, après mon arrivée à Marseille, je fréquentais assidument le Théâtre de La Criée.

© Guo Wei

Plus tard, alors que je préparais mon CAPES de français, mon parcours a basculé : Gildas Bourdet, alors directeur de La Criée, m’a proposé de travailler comme assistant metteur en scène, ce que j’ai fait pendant 5 ans avant de voler de mes propres ailes. Ensuite, j’ai été en résidence à Beauvais en Picardie, j’ai créé un festival à Amiens, et en 2009, on m’a sollicité pour le théâtre privé. Mes études de lettres ont été fondamentales dans mon métier : elles m’ont appris à analyser rigoureusement les textes, compétence essentielle pour la mise en scène !

Qui ont été vos maîtres, et que vous ont-ils appris, notamment en comédie musicale ?

En matière de comédie musicale, je n’ai pas eu de maître à proprement parler car je me suis lancé tardivement, sans connaissances préalables du genre. Cependant, j’ai beaucoup appris de différentes rencontres et expériences. Gildas Bourdet, lorsqu’il était directeur de la Criée, a été un mentor important dans mon parcours théâtral. Plus tard, ma collaboration avec France Gall a été très formatrice. Elle possédait un sens du swing et une musicalité qui m’ont profondément inspiré.

Certains spectacles ont aussi joué un rôle crucial dans ma formation et mon intérêt pour la comédie musicale. Billy Elliot avec la musique d’Elton John et Hamilton m’ont particulièrement bouleversé, me donnant envie d’explorer ce genre. Je suis un grand amateur de comédies musicales et j’admire des œuvres comme Les Misérables, Miss Saïgon d’Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg, Everybody’s talking about Jamie (que j’aimerais monter en France !), et Kinky Boots

Et côté cinéma ?

Côté cinéma, j’apprécie particulièrement des films qui touchent profondément l’émotion. Happiness Therapy et Eternal Sunshine of the Spotless Mind me bouleversent. J’aime les œuvres qui interpellent le cœur plutôt que la tête, comme certains romans – par exemple, Les Cerfs-Volants de Kaboul m’a fait beaucoup pleurer. Mes goûts sont très larges : avec mes enfants, j’ai vu le dernier Avatar et j’ai été tout aussi ému. La comédie musicale partage cette capacité à toucher directement. 

Et théâtre ? 

Au théâtre, j’ai eu la chance de monter de grandes pièces, comme celles de Florian Zeller, un auteur qui occupe une place importante dans mon parcours. Le Père est pour moi une pièce majeure, et j’ai eu aussi le privilège de mettre en scène La Mère à Tokyo, une expérience que j’ai trouvée extraordinaire. Notre collaboration avec Florian est née lorsqu’il a vu ma mise en scène de Médée de Anouilh et m’a proposé de monter ses premières pièces. Le succès de Le Père, couronné de trois Molières en 2014 (meilleure pièce, meilleur acteur pour Robert Hirsch, meilleure actrice pour Isabelle Gélinas) a lancé notre collaboration.

J’ai également une grande passion pour d’autres auteurs comme Musset et Ibsen. J’ai particulièrement apprécié monter La Maison de poupée à Bruxelles, une pièce féministe immense. Ibsen m’attire par son côté sombre, peu exploré en France. Je suis également fan de Joël Pommerat, de Michel Marc Bouchard – un auteur québécois dont j’ai monté Tom à la ferme – et j’apprécie l’humour de Sébastien Thiery.

Mon approche du théâtre, comme du cinéma, est profondément éclectique. Bien que cet éclectisme ne soit pas toujours bien perçu, j’aime me déplacer entre des territoires artistiques très différents.

Quel est l’acteur que vous avez préféré diriger ? 

C’est une question complexe, mais certaines rencontres ont été marquantes. Robert Hirsch occupe une place particulière : c’était un véritable animal de scène, passionnant, qui m’a énormément appris. J’ai eu la chance de travailler avec lui sur deux spectacles à la fin de sa vie, et sa maîtrise du métier était remarquable.

D’autres acteurs m’ont également beaucoup apporté, comme Eric Elmosnino et Dominique Pinon. Pour moi, diriger des acteurs, c’est avant tout apprendre, se nourrir de leurs expériences, de leur sensibilité. Chaque collaboration est une opportunité d’enrichissement mutuel.

Dans votre parcours, qu’est-ce qui était le plus enthousiasmant et le plus difficile ?

Ce métier est un parcours d’enthousiasmes successifs, où l’on va de projet en projet. Pour moi, le dernier projet est toujours le plus enthousiasmant.

J’ai cependant traversé des moments difficiles, notamment lorsque j’ai dirigé des équipes avec des acteurs qui ne s’entendaient pas. Pour moi, la troupe est sacrée : j’ai besoin qu’elle soit un lieu de joie et de créativité. Dans le théâtre, on n’est pas obligé de tous s’aimer, mais il est essentiel que la magie opère sur scène. Je me suis amélioré progressivement dans mes distributions, développant mon intuition pour créer des équipes harmonieuses. Et j’ai de moins en moins de problèmes dans mes équipes. C’est un véritable travail de ressources humaines où chaque recrutement lors d’un casting est crucial : il faut évaluer la compatibilité de chaque artiste avec l’esprit de la troupe dans un temps très court.

J’étais malheureux quand les dynamiques d’équipe devenaient conflictuelles avec des rapports de force, ou quand je rencontrais des personnes manquant de compétences. Je suis exigeant car je prends mon métier très au sérieux, tout en restant ludique. Le théâtre est un art sérieux où l’on peut s’amuser, mais qui requiert un engagement total. Je peux être malheureux face à des professionnels qui n’atteignent pas ce niveau d’exigence, comme des acteurs qui ne maîtrisent pas leurs textes. J’ai appris à ne pas me fier aux réputations : parfois, les collaborations sont plus complexes avec des acteurs moins médiatisés, et plus simples avec des artistes très connus.

Et le plus difficile dans la comédie musicale ? 

La comédie musicale représente un défi particulier : le temps. Sur des productions comme « Les Misérables », avec près de 100 personnes impliquées, chaque jour de répétition a un coût considérable. La lutte contre le temps est constante, l’objectif étant de créer un spectacle parfait dans un délai toujours trop court.

La complexité réside dans la multiplicité des paramètres : la musique doit être impeccable, les acteurs doivent bien chanter en plus de leur jeu théâtral, les décors doivent être réussis. C’est comme un instrument avec plus de cordes que le théâtre traditionnel. Gérer autant de personnes dans un temps aussi restreint demande une énergie considérable. Pour Les Misérables, j’ai dû coordonner beaucoup plus de monde, avec moins de temps, ce qui a été très exigeant. Mais malgré ces défis, ce fût une expérience profondément passionnante.

Quel est le spectacle dont vous êtes le plus fier ?

Je ne suis pas du genre à regarder dans le rétroviseur. Les spectacles dont je suis le plus fier sont toujours les derniers : Molière et Les Misérables. Ce qui m’intéresse, c’est aujourd’hui et demain. Comme aujourd’hui c’est Les Misérables, je dirais « Les Misérables« . Ceci dit, je suis vraiment fier des spectacles où la magie opère sur scène : quand les artistes sont heureux sur le plateau, quand l’ouverture de la partition révèle une harmonie parfaite. 

Travailler sur Les Misérables a été une expérience extraordinaire, notamment à travers la redécouverte de Victor Hugo. Bien que je n’ai lu le roman que récemment, j’avais déjà beaucoup travaillé sur Hugo. L’œuvre est fascinante : certains passages sont certes très longs, comme les descriptions de Waterloo ou les 90 pages consacrées à l’évêque de Digne, mais c’est tellement passionnant de découvrir son génie narratif. Les personnages sont profondément émouvants. Je l’ai lu à Tokyo et j’aimerais le relire, car c’est vraiment une œuvre majeure. La comédie musicale en est un condensé remarquable, avec des choix scéniques judicieux qui capturent l’essence du roman.

Pourquoi s’attaquer aux Misérables ? 

Tout est parti d’Alain Boublil, qui est venu me chercher après avoir vu ma mise en scène d’Oliver Twist avec Stéphane Lettelier. Il a estimé que nous étions les personnes appropriées pour faire revenir Les Misérables en France. Ce projet s’est avéré être un long parcours, un véritable chemin de croix qui a duré 7 ans.

Ma rencontre avec l’œuvre à Londres a été déterminante. J’ai été profondément séduit par sa musique, ce qui a attisé mon désir de la porter sur scène. C’était comme une envie de gravir un sommet artistique, de relever un défi immense.

Comment avez-vous choisi les différents acteurs pour les différents rôles ? 

Le casting des Misérables a été un processus très exigeant et réfléchi. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec la direction musicale du Châtelet, et les créateurs originaux, Alain Boublil et Claude-Michel Schönberg, étaient personnellement présents lors du dernier tour des auditions.

Un élément crucial a été l’implication de Cameron Mackintosh, le producteur anglais qui disposait d’un droit de regard sur la distribution. Il a initialement changé notre première distribution, estimant qu’elle manquait de diversité. Sa décision a été déterminante et, selon moi, tout à fait justifiée. Nous avons donc procédé à des ajustements, veillant à ce que la distribution reflète une plus grande diversité.

Un passage / une chanson préférée ? 

Dans Les Misérables, j’ai plusieurs passages qui me touchent profondément. « Le Grand Jour », qui termine le premier acte, est en réalité la raison principale pour laquelle j’ai voulu monter ce spectacle. « J’avais rêvé » me fait systématiquement pleurer, tout comme la chanson « Seul devant ces tables vides ». Il y a aussi ce moment très simple et bouleversant où Valjean donne la main à Cosette pour l’emmener à l’auberge, avec sa petite chanson – ce passage m’émeut à chaque fois. Les scènes de barricades sont également magnifiques, car elles montrent la force des liens humains dans des moments de grande tension. C’est vraiment un spectacle riche en émotions, avec tellement de passages qui touchent le cœur.

Chanter Les Misérables en français est une véritable richesse, car on revient aux sources mêmes de l’œuvre originale de Victor Hugo. Cette version nous permet de redécouvrir l’ADN de l’identité française : l’esprit de révolte, l’esprit frondeur, et l’engagement social qui caractérisent profondément la culture française. Les Misérables capture toute la complexité de notre patrimoine national, nos contradictions et nos aspirations.

Ramener cette œuvre sur une scène française, dans sa langue originale, c’est comme faire revenir un trésor culturel à la maison. C’est renouer avec notre histoire, nos mythes fondateurs, et la manière dont nous nous racontons à travers nos grandes œuvres littéraires et artistiques.

Et comment avez-vécu la réception du public ?

La réception du public a été pour moi une expérience profondément émouvante. Nous avons énormément travaillé, et un flop aurait été difficile à encaisser. Mais voir les spectateurs se lever tous les soirs et applaudir longuement est un moment de grâce quotidien.

Les retours du public sont touchants : beaucoup me parlent du message d’espoir que porte le spectacle. Dans notre époque souvent morose, Les Misérables offre une perspective sur la révolte possible, sur la capacité de l’être humain à résister et à se transformer. 

La fin du spectacle est particulièrement symbolique. La réconciliation de Jean Valjean avec les fantômes de son passé devient un message universel d’espoir. Cette dernière chanson est comme un apaisement, un parcours métaphorique allant des ténèbres vers la lumière, de l’enfer à la rédemption. C’est comme si Valjean quittait la scène transfiguré, réconcilié avec lui-même et son histoire, porteur d’un message d’humanité et d’espérance. Un spectacle rassembleur qui rappelle que la transformation est toujours possible.

© Guo Wei

Quels sont vos autres projets ? Pouvez-vous nous en parler, nous les présenter ? 

Je vais d’abord monter La Vérité de Florian Zeller, puis faire un break avant de revenir vers le cinéma. Plusieurs projets sont déjà en cours : Molière, la comédie musicale, partira en tournée en Chine à partir de septembre, en commençant par Shanghai. En janvier prochain, je prépare une pièce sur les fantômes qui fait peur, un genre totalement nouveau pour moi qui me permettra d’explorer des territoires théâtraux inédits. Je vais également créer un spectacle à Tokyo en novembre.

J’ai d’autres projets en développement, dont un potentiel projet avec Jean Reno, mais je reste volontairement ouvert et garde de l’espace pour le cinéma. N’ayant réalisé qu’un seul film jusqu’à présent, j’ai envie de me ressourcer du théâtre.

Parallèlement à ma carrière artistique, je suis père, et la moitié de ma vie est consacrée à mes enfants. Trouver l’équilibre entre mon travail et l’éducation de mes enfants est un projet de vie tout aussi important que mes créations artistiques. Ils sont ma source d’inspiration absolue et me permettent de garder les pieds sur terre. C’est un vrai cadeau dans ma vie.

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