Toute la misère du monde

COMÉDIE MUSICALE – La boucle est bouclée : après avoir conquis le monde, Les Misérables revient enfin dans sa capitale chérie, là où tout a commencé. Et c’est un triomphe. 

Cette adaptation ambitieuse du chef d’œuvre de Victor Hugo, qui réussit le tour de force de condenser les 1500 pages du roman en 2h30 de comédie musicale est l’œuvre du librettiste Alain Boublil et de son complice, le compositeur Claude-Michel Schönberg. Pour cette nouvelle version, Alain Boublil a subtilement modernisé 20% du livret original (version anglophone de 1985 par Cameron Mackintosh), le rendant plus actuel tout en préservant sa force dramatique. Après avoir conquis 130 millions de spectateurs à travers le monde, après 39 ans de représentation à Londres et 16 ans à Broadway, « Les Misérables » revient enfin dans sa ville natale pour 52 représentations, jusqu’au 2 janvier 2025. Le public français peut désormais redécouvrir dans sa langue originelle, les tubes planétaires plus connus en anglais : J’avais rêvé, À la volonté du peuple, Mon histoire, Le Grand jour…Un patrimoine musical, qui continue de toucher les nouvelles générations. 

La recette Hugo

« Tant qu’il y aura sur terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles » – ces mots de Victor Hugo dans la préface des Misérables résonnent d’autant plus fort aujourd’hui. Ce monument littéraire, qui fût un succès colossal dès sa publication en 1862, a donné la parole aux laissés-pour-compte de la société. L’œuvre, comme son nom l’indique, dénonce la misère du peuple français, avec ses personnages tiraillés entre une soif de liberté et une réalité sociale implacable dont ils ne peuvent s’extraire. Quoiqu’ils fassent, le destin les rattrape toujours. Ironie du sort, cette dénonciation de la misère a fait la fortune de son auteur et un siècle et demi plus tard, la comédie musicale qui en est tirée continue de faire salle comble. La recette Victor Hugo ne se dément pas… 

© Thomas Amouroux
L’enfer du décor

Dans cette nouvelle production, Ladislas Chollat, le metteur en scène a cherché un décor épuré qui « symboliserait la rédemption de Jean Valjean et son chemin de croix pour quitter l’ombre et s’élever vers la lumière ». Il puise alors son inspiration dans une gravure de Gustave Doré illustrant « L’Enfer de Dante » : « un homme qui marche sous les étoiles vers le paradis », métaphore parfaite du parcours d’un ancien bagnard qui émerge des ténèbres en quête perpétuelle de rédemption.  

© Thomas Amouroux

La scénographie, conçue avec Emmanuelle Roy s’articule alors autour de deux pentes modulables « très minérales » en mouvement perpétuel. Elles structurent l’espace tandis qu’en fond de scène, les projections vidéo très sombres font écho aux « litres d’encre » utilisés par Victor Hugo durant ses longues séances d’écriture (jusqu’à 16 heures par jour). Ces images mouvantes un peu hypnotiques apportent un dynamisme qui ne gêne en aucun cas le jeu des acteurs. 

Misère crue

Les 35 tableaux s’enchaînent avec fluidité, portés par une tension dramatique qui ne faiblit jamais. Le spectateur est complètement captivé et ne s’ennuie jamais dans cet univers visuel aussi sombre que les ténèbres qui s’illumine grâce aux touches de couleur apportés par les costumes. Jean-Daniel Vuillermoz a fait un travail remarquable et minutieux : pas moins de 300 pièces, toutes passées par l’atelier patine du théâtre pour être méticuleusement maltraitées – rapiécés, déchirés, déteints par le soleil- pour apporter un hyperréalisme saisissant de la rudesse du Paris du XIXème siècle. Cette nouvelle version réussit alors son pari de nous plonger dans un enfer de misère servie par une distribution sans fausse note. 

© Thomas Amouroux
Distribution de mouchoirs

Sur les planches du Châtelet, la nouvelle distribution française fait des merveilles.

  • Claire Pérot est une Fantine profondément émouvante. Une maman célibataire à la fragilité désarmante, qui aurait « rêvé d’une autre vie », comme le chante son tube planétaire qui ce soir-là, nous arrache des larmes. La vie a volé son rêve, et la voilà dépouillée de tout…
  • Océane Demontis nous bouleverse en Eponine, figure du sacrifice amoureux pour Marius, interprété avec conviction par Jacques Preiss, qui rêve de justice sociale avec ses camarades étudiants. Stanley Kassa en Enjolras nous impressionne en leader charismatique d’une jeunesse révoltée.
  • Et puis il y a le couple de vrais méchants, les Thénardiers : un tandem aussi drôle que cruel, interprétés avec brio par Christine Bonnard et David Alexis. Ils incarnent parfaitement ce couple de charognards vulgaires, qui survit en piétinant les autres. Mais bon à la fin ils sont encore là en prospérant sur le malheur d’autrui. Ils nous martèlent à l’envi que la vie n’est résolument pas juste. 
  • Juliette Artigala apporte sa fraîcheur et son innocence au personnage de Cosette, qui échappe à un destin tragique. Sébastien Duchange impressionne avec sa voix profonde et grave dans le rôle Javert, qui poursuit son obsession de justice jusqu’à la folie. Mention spéciale au jeune Gaspard de Cerner, qui brille en un Gavroche effronté plein de dynamisme, livrant avec panache le célèbre « Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire. Le nez dans le ruisseau, c’est la faute à Rousseau. »
  • Et enfin Benoît Rameau qui incarne magistralement Jean Valjean, seul personnage qui parvient à transcender son destin grâce à l’acte de bonté d’un inconnu (évêque de Digne magnifiquement interprété par Maxime de Toledo). Sa voix de ténor aux aigus puissants sublime le rôle. 
À lire également : Commune de Paris : la musique en exil

Sous la direction musicale experte d’e la cheffe ‘Alexandre Cravero, les 40 interprètes forment une troupe d’une cohésion exceptionnelle. Leur diction impeccable et leur engagement à 100% servent parfaitement cette fresque sociale, où chaque acteur trouve sa juste place dans ce ballet de destins brisés et de vies volées. La vie tient à peu de choses pour ceux qui n’ont rien… 

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