INTERVIEW – Il a incarné les plus grands rôles. Avec son énergie communicative, sa voix claire et sa diction ex-cellente, Roberto Alagna, 53 ans, a amené des millions de fans à aimer l’opéra. Il est toujours à l’affiche des plus grands opéras du monde. Son agenda est plein jusqu’en 2021! Quel chemin par-couru pour ce natif de la banlieue parisienne, fils d’immigrés siciliens. Le plus célèbre des ténors français fête le 10 août ses trente ans de carrière par une grande soirée au Theâtre antique d’Orange. Il nous confie ses sentiments à quelques jours de cet anniversaire.
Le Parisien : Alors Roberto, 30 ans de carrière… Déjà ?!
Roberto Alagna : Oui moi aussi ça me fait cet effet là (rires). A mes débuts mon agent m’avait dit : « Tu pars pour 30 ans de carrière ». Dans ma tête je pensais faire une carrière courte, je ne voulais pas m’économiser, devenir un gestionnaire du chant. C’est mon tempérament. Je n’ai pas vu le temps passer ! C’est une chance.
Êtes-vous devenu un « gestionnaire du chant » ?
Non. J’ai pris des risques, notamment en abordant de nombreux rôles quand j’étais jeune. Je n’ai pas « amorti » mes rôles. J’ai usé sans abuser. J’ai respecté mon instrument. Je connais bien ma voix et je sais quand je dois me taire… Mais c’est difficile, je suis très bavard (rires). Je ne suis pas blasé. J’ai toujours l’envie, la flamme. C’est le plus important. Quand on perd la voix, c’est qu’on a perdu la flamme. Songer à la retraite ? Je ne peux pas. Quand je suis devenu veuf (à trente ans, de sa première épouse Florence, ndlr), j’ai cru que tout s’arrêtait. Et puis la vie continue…
Quand commence vraiment votre carrière ?
Ca a décollé en 1988 : j’ai remporté le Concours Pavarotti, j’ai chanté le rôle d’Alfredo Germont de La Traviata de Verdi avec la troupe du festival de Glyndebourne (Angleterre), j’ai signé mon pre-mier CD et fait ma première télé. J’avais déjà fait une tournée avec La Fille du Régiment de Doni-zetti, mais c’était minable. Avant cela, à 17 ans, je chantais dans des cabarets et des pizzerias !
Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir ténor ?
Le chant m’a tout simplement permis d’exister. J’étais transparent dans ma famille, jusqu’à ce que le chant me rende intéressant. Même si certains me détestent, c’est toujours mieux que d’être transparent ! C’est une thérapie. Je découvrais qui j’étais à travers les rôles que j’interprétais. Ils m’ont appris une certaine philosophie de vie et une grande tolérance.
Pourquoi étiez-vous transparent ?
Je suis le seul enfant de ma famille sicilienne à être né en France. Dans mon quartier (à Clichy-sous-Bois en région parisienne, ndlr), j’étais « le rital ». Pourtant tous les habitants du quartier étaient des fils d’immigrés ! Notamment Sylvie Guillem (danseuse étoile, ndlr) m’a confié un jour que, lors-qu’elle passait devant chez nous, elle courait… de peur. Je croyais qu’elle s’entraînait ! Etre mal aimé, rejeté à causes de vos ascendances, je sais ce que c’est. Je pense souvent à ces jeunes de la communauté maghrébine qui ne se sentent pas français. Quand ils me disent cela, je leur ré-ponds : « C’est ton pays là-bas ? Tes références, les dessins animés que tu regardais, petit, c’étaient ceux de là-bas ou ceux d’ici ? Ta culture est en France. » L’intégration n’est pas facile. On a toujours peur de l’étranger. Mais il faut s’approcher pour mieux se connaître.
Quelle est la récompense qui vous a le plus touché ?
Quand mon nom est entré dans le dictionnaire ! Chez moi il y avait un vieux dico des années 1870 et je regardais les noms propres en cherchant si je connaissais quelqu’un. Ces gens étaient les héros de mon enfance… Aussi quand j’ai eu ma statue de cire au Musée Grévin : je pensais rigoler et j’ai été très ému.
Vous ne songez pas à enseigner ?
Ah non. Je suis contre l’enseignement du chant ! Pour moi tout le monde doit trouver sa voix seul. Pour la carrière on peut être aidé, motivé, conseillé. Pour la diction aussi. Mais le chant est un truc de la nature. Je ne saurais pas dire comment il faut chanter. Au début j’ai imité Pavarotti, pas trop longtemps. J’ai trouvé mon propre son. Et j’ai cherché dans le passé des ténors qui auraient eu des voix proches de la mienne : je n’ai pas trouvé. Prenez Rolando Villazon, il a quelque chose de Plácido Domingo. Juan Diego Flórez, c’est plutôt Luis Mariano. Mais certains chanteurs ne res-semblent à personne. Je crois que cela tient au fait que j’ai grandi entre l’italien et le français. La voix se construit beaucoup sur la langue maternelle.
30 ans de carrière : un spectacle anniversaire
Forcément, Roberto Alagna fête ses 30 ans en chantant ! C’est dans le décor grandiose du théâtre antique d’Orange, où se déroule chaque été le festival des Chorégies d’Orange, que le ténor a con-cocté « un véritable tour de chant, pas juste une succession de tubes », promet-il. Au programme : non seulement ses plus grands airs – Otello, Roméo, Cavaradossi, Pagliacci – mais aussi des duos et trios avec sa femme la soprano Aleksandra Kurzak, ses amis le baryton Coréen Ko Seng-Hyou et la mezzo-soprano française Béatrice Uria-Monzon. « C’est comme ma sœur. Nous avons commencé ensemble aux Chorégies. » L’Orchestre de Prague les accompagnera, et David Alagna, le frère de Roberto, a conçu le spectacle : un anniversaire avec la famille et les amis… Et quelques 6000 fans !
10 août à 21h30, théâtre antique d’Orange. 56 à 228 €. Points de vente habituels.