COMPTE-RENDU – La nouvelle production d’Œdipe d’Enesco par le metteur en scène Wajdi Mouawad à l’Opéra Bastille est un des événements de la rentrée lyrique.
En cette rentrée 2021, la musique du compositeur roumain George Enesco (1881-1955) est à la mode. De l’Opéra de Paris au festival Enescu à Bucarest, en passant par le Komische Oper de Berlin ou la Philharmonie de Paris, l’Europe vibre au rythme de la musique d’Enesco. A l’affiche de l’Opéra Bastille pour la première fois depuis sa création en 1936, l’unique opéra d’Enesco est l’événement de la rentrée musicale à ne pas manquer. Et d’ailleurs le tout-Paris chic ne s’y est pas trompé et s’est rué pour assister à la première, jeudi 23 septembre.
Un opéra né dans la douleur
Ces dernières années, le monde musical redécouvre les œuvres d’Enesco, une figure majeure de la vie culturelle du XXe siècle, qui fut élève de Massenet et Fauré, ami de Ravel, mentor de Menuhin. Son Œdipe est un retour aux sources de la tragédie grecque. Le compositeur y a consacré un quart de siècle, une obsession qui l’a saisit après avoir vu une représentation d’Œdipe roi à la Comédie-Française en 1909 : “Un sujet comme celui-là, on ne le choisit pas : c’est lui qui vous choisit. Il vous saute dessus, il vous empoigne, il ne vous lâche plus.”
Pour le livret de son opéra, le jeune Enesco décida de faire appel à l’helléniste Edmond Fleg. L’opéra souffre du manque d’expérience du compositeur et du librettiste dans l’écriture d’un genre aussi complexe, qui doit allier tension musicale et tension dramatique. Le livret ampoulé, avec ses alexandrins précieux, plombe une partition d’une grande beauté, plus symphonique qu’opératique. Dans cet opéra, Enesco opère une synthèse de la musique de la fin du XIXe et de la première moitié du XXe siècle, de Fauré à Schoenberg, en passant par Strauss, Ravel et Stravinsky,
Le livret ampoulé, avec ses alexandrins précieux, plombe une partition d’une grande beauté, plus symphonique qu’opératique.

Dépouillement
Wajdi Mouawad partage l’obsession d’Enesco pour le mythe d’Œdipe, qu’il a mis en scène tout au long de sa carrière et auquel il a même consacré un texte, Les Larmes d’Œdipe. Il est donc logique que l’Opéra de Paris l’ait sollicité pour mettre en scène cette nouvelle production de l’opéra d’Enesco. Malheureusement, le pari est partiellement réussi.
Certes, la mise en scène est très fidèle au livret, d’une grande lisibilité pour les spectatrices et spectateurs et d’une grande beauté plastique, notamment grâce aux costumes flamboyants d’Emmanuelle Thomas et aux décors sculpturaux d’Emmanuel Clolus.
Mouawad a introduit un prologue parlé qui explique la genèse de l’histoire d’Œdipe, renforçant ainsi la compréhension de l’intrigue. Mais la mise en scène souffre d’être trop statique. D’immenses panneaux mobiles servent de décors aux différents lieux où se déroule l’action. Ils soulignent le côté hiératique et monumental de la mise en scène, tout en l’ancrant dans les éléments, la terre, l’air, le feu et l’eau.
Mais ces beaux décors dépouillés enferment aussi les solistes et les chœurs dans des poses solennelles et limitent fortement leurs mouvements, confortant ainsi le côté statique de la mise en scène.

Une distribution de haute tenue
Christopher Maltman, un habitué du rôle d’Œdipe qu’il a chanté en 2019 au Festival de Salzburg, a été ovationné par le public présent à l’Opéra Bastille pour la première. Sa performance impressionne par sa maîtrise vocale du rôle, mais peine à émouvoir par manque d’expressivité.
Le reste de la distribution est très équilibrée et d’une grande qualité, à commencer par la saisissante Sphinge de Clémentine Margaine, l’émouvante Mérope d’Anne Sofie von Otter, le Grand Prêtre éloquent de Laurent Naouri et le Laïos pugnace de Yann Beuron. Les chœurs, sans doute gênés par le port du masque dû aux contraintes sanitaires, manquent de cohésion et ne sont pas complètement en place. Dans la fosse, Ingo Metzmacher démontre une fois de plus sa capacité à sublimer les timbres de l’orchestre de l’Opéra de Paris.