COMPTE-RENDU – Au cœur d’un patrimoine exceptionnel, le festival de Saint-Riquier, en baie de Somme, réussit le pari ambitieux de magnifier la musique classique, tout en se projetant vers l’avenir en faisant à la place belle aux musiques contemporaines. Récit d’une soirée où l’on s’est senti bien vivant.
Fragments de France, tel est le projet inédit réalisé par le journal Le Monde en ce début de campagne présidentielle. 100 reportages radiographiant le pays, avec comme intuition l’idée d’une France pas si recroquevillée sur elle-même ou sur son passé. On peut légitimement se demander si cette démarche n’est pas colorée d’un excès d’optimisme, voire, d’une envie de concevoir et diffuser des prophéties autoréalisatrices.
Toujours est-il qu’après avoir passé le week-end en Baie de Somme, avec comme point d’orgue du séjour deux concerts successifs donnés à l’occasion du festival de Saint-Riquier, la sensation que l’on tient un sujet pour un 101ième reportage est bien réelle.
Saint-Riquier, petite commune située en plein parc naturel régional, est en elle-même un témoignage de l’histoire de France. Une simple marche à travers la ville peut se transformer en récit historique. Point de départ au VIIe siècle dans l’abbaye, on continue vers le baroque avec la chapelle de l’Hôtel-Dieu et on accède au Premier Empire avec la maison Napoléon.
Dès que l’on entre dans la ville, le respect de ce passé est prégnant. L’éclairage de l’abbaye est un exemple frappant. A l’opposé d’un clinquant pouvant flatter un premier regard, les lumières habillent avec distinction le monument, presque avec distance, même, comme si les siècles qui se sont écoulés le rendait inatteignable.
Edgar Moreau en famille
C’est au cœur de cette abbaye que se tenait le premier concert de ce samedi soir. Au programme, deux grands compositeurs d’Europe centrale : Dvořák et Korngold. Si la musique de chambre du premier est bien connue, celle du second l’est un peu moins. La formation du quatuor (deux violons, un violoncelle et un piano) est en outre très originale. Nous apprendrons d’ailleurs par la bouche d’un des concertistes que l’intégralité de la musique composée pour cette formation a été jouée lors de ce concert.
Ce musicien, tout mélomane qui se tient un peu au courant de l’actualité le connait… Il s’agit d’Edgar Moreau, violoncelliste star du label Erato qui jouait pour l’occasion en famille, avec sa sœur et ses deux frères. Le caractère de l’ensemble est à l’image de ce que l’on connait d’Edgar : précis, intelligent et intelligible. Certains pourraient regretter un manque de fougue ; l’acoustique de l’abbaye a cependant donné un surcroît d’ampleur à la musique.
Ce que l’on attend d’un festival vivant et exigeant : satisfaire mais aussi donner à découvrir.
Samuel Strouk
Mais Saint-Riquier n’était clairement pas recroquevillé sur un passé perdu ce samedi soir. En premier lieu, il était très appréciable que le concert soit filmé et retransmis en direct sur des écrans disposés idéalement de chaque côté de l’assistance. Ensuite, le concert qui a suivi celui de la fratrie Moreau apportait un contrepoint actuel et lumineux.
Programmer le compositeur et guitariste Samuel Strouk dans un répertoire mixant les couleurs classiques aux rythmes pointus du jazz contemporain était audacieux et, quelque part, nécessaire. Alors, bien entendu, le public était plus clairsemé et n’avait visiblement pas l’habitude de ce genre d’ambiance. Mais c’est justement ce que l’on attend d’un festival vivant et exigeant : satisfaire mais aussi donner à découvrir.
Il est à parier que la dame qui trouvait au début du concert que la musique « était trop forte » aura certainement changé d’avis lorsqu’elle quitta sur un pas encore imprégné de rythmes flamboyants le studio-théâtre du centre culturel de Saint-Riquier.