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Philippe Boesmans, note finale

DISPARITION – Il a offert aux mélomanes de merveilleuses partitions dont un bouleversant Pinocchio et ses œuvres sont jouées dans le monde entier. Philippe Boesmans, figure essentielle de la musique belge et de l’art lyrique, est mort dimanche 10 avril à l’âge de 85 ans.

L’itinéraire musical du compositeur Philippe Boesmans est pour le moins singulier. Né le 17 mai 1936 à Tongres en Flandre, une petite ville proche de Liège, il est âgé de neuf ans lorsque sonne la fin de la guerre. Un souvenir le hantera à jamais : la vision dans les rues de Tongres, de collaborateurs escortés par l’armée de la Libération, se rendant vers le lieu de leur exécution en trainant eux-même leurs cercueils.

Autodidacte

Adolescent, Philippe Boesmans se bâtit une culture francophone à son arrivée à Bruxelles. Doué en art pictural, il aurait pu devenir peintre, mais les hasards de la vie et une santé fragile le mènent vers le Conservatoire. Fou de Chopin, le jeune pianiste, élève de Stefan Askenase, choisit la composition. Il est également un grand amoureux de Wagner. Autodidacte, il participe aux courants d’avant-garde des années 1960 et 1970, notamment le théâtre musical côtoyant Henri Pousseur, Luciano Berio ou encore Karlheinz Stockhausen.

Dans les années 1970, alors que la musique atonale est à son sommet, Boesmans décide de se positionner à contre-courant : « Pourtant, à 20 ans, je pensais que c’était l’avenir mais j’ai vite compris que c’était une musique fermée sur elle-même… », explique-t-il au journaliste Camille de Rijck. « La musique du XXe siècle a connu des sectes, des mouvements dogmatiques qui sont aujourd’hui un peu tombés dans l’oubli. Pour ceux qui en étaient les tenants et qui pratiquaient la tonalité contondante ou la musique répétitive, il n’était pas concevable de s’exprimer autrement. Ceux-là ressentaient une sorte d’insulte nostalgique face aux expressions moins radicales : un accord de neuvième majeur aurait pu constituer pour eux une référence directe à Vichy. »

Plus tard, il osera parler de la nostalgie présente dans ses compositions, comme dans cet entretien, en 2017, dans Libération : « La nostalgie était très mal vue. Il ne fallait pas parler du passé. Il ne fallait pas de pathos. Il y avait même dans l’air l’idée qu’il fallait brûler la musique du passé. Cela venait des gens qui entouraient Boulez. Parfois ceux qui suivent sont plus radicaux encore. J’ai toujours réclamé pour ma part l’idée de nostalgie. Je suis ému. Quand j’entends chez moi une chanson d’Édith Piaf qui vient de chez le voisin, j’ai les larmes aux yeux. Je suis comme ça. Je ne veux pas tuer ça chez moi, je ne veux pas ôter cela de mon travail. La musique ce n’est pas autre chose que ça. Il n’y a pas d’un côté la musique puis la vie qui m’entoure. »

En 1971, la diffusion de Evil Flowers, œuvre cinématographique et musicale atypique, révèle certaines dimensions de la personnalité de Boesmans : la facétie, la liberté et l’exigence. Son engagement au parti communiste belge avait été fondamental pour la définition de son identité de compositeur, sans en faire pour autant un musicien engagé : « Cette période a représenté beaucoup d’heures pendant lesquelles on ne peut pas dire que je n’ai pas composé », explique-t-il à l’historien Guillaume Bourgeois.

Repéré par Gérard Mortier

© DR

Boesmans fait ses armes à la radio dans les années 1960 et 1970 comme monteur, programmateur, compositeur. Pour son premier travail, il est chargé de l’écriture d’extraits musicaux pour illustrer des pièces de théâtre. Il passe maître dans l’art du pastiche et écrit par la suite des pièces contemporaines, toujours pour la radio.

Dans les années 1980, il est repéré par Gérard Mortier qui dirige le théâtre de La Monnaie, de Bruxelles. « C’est surtout que l’opéra dans notre jeunesse était horriblement mal joué », se souvient Boesmans, toujours auprès de Camille de Rjick. « Quand j’avais 30 ans il m’est arrivé d’aller à la Monnaie et vraiment pour mes amis et moi c’était risible. On aimait Brecht, on aimait le nouveau théâtre américain et fatalement ont peiné à trouver toutes ces audace à l’opéra. En Belgique on a dû attendre l’arrivée de Gérard Mortier en 1980 pour changer d’avis. »

Mortier commande à Boesmans La Passion de Gilles, créée dans une mise en scène de Daniel Mesguich en octobre 1983 à La Monnaie, quelques semaines avant Saint-François d’Olivier Messiaen à l’Opéra de Paris. Ce premier opéra est incontestablement à verser au tribut des œuvres emblématiques qui ont permis la renaissance de l’opéra, après trente ans de purgatoire au nom de l’obsolescence d’un genre entaché de références bourgeoises.

Un compositeur d’opéra

Le Théâtre de La Monnaie travaille énormément avec Boesmans, que ce soit sous la direction de Gérard Mortier, Bernard Foccroulle et Peter de Caluwe : « Nous voulons nous souvenir de Philippe pour son humanisme, son humour et sa générosité, a réagi ce dernier. Il était un invité de choix dans notre Théâtre et l’un des piliers essentiels de notre maison. Sa contribution artistique à la Monnaie et au monde de l’opéra contemporain est inestimable ».

Depuis La Passion de Gilles ont suivi Reigen (1993), d’après une pièce d’Arthur Schnitzler, Wintermärchen (1999), d’après Shakespeare, et Julie (2004), d’après la pièce Fröken Julie d’August Strindberg. Par la suite, les commandes se font en coproduction avec de grandes maisons d’opéra à Paris et à Aix-en-Provence : Yvonne, princesse de Bourgogne (2009), Au Monde (2014) et plus récemment Pinocchio (2017), deux titres en collaboration avec Joël Pommerat.

Le nouvel opéra de Philippe Boesmans : On purge bébé sera donné en décembre 2022 à La Monnaie. De nouvelles productions de ses œuvres sont régulièrement montées, comme récemment à Stuttgart et à Paris (Reigen) ou à Nancy (Julie). Il a été une référence pour de nombreux compositeurs, dont Benoît Mernier et Kris Defoort.

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En plus de ses œuvres pour la scène, Philippe Boesmans est très actif en tant que compositeur de musique de chambre et de pièces symphoniques. Son cycle de mélodies Trakl-Lieder est interprété par l’Orchestre symphonique de La Monnaie en février 2022, sous la direction de son grand ami, le chef d’orchestre Sylvain Cambreling.

Un style musical entre humour et compassion

Philippe Boesmans écrit toute sa vie une musique instinctive. On l’a souvent comparé à Erik Satie dans cet esprit mutin et génial. Il aime les citations de la culture populaire comme la référence au grand opéra. Dans Yvonne, princesse de Bourgogne, il fait des clins d’œil à Gounod. Dans Au Monde, il glisse une citation de la chanson My Way/Comme d’habitude ! (c’est à 2’41 » dans cette vidéo)

Si Boesmans puise son inspiration « dans la musique qui existe » comme il le dit lui-même, il tisse au fil des œuvres lyriques ou instrumentales des allusions à toute l’histoire de la musique occidentale, depuis le plain-chant jusqu’aux sérialistes, au jazz ou à la variété. Cependant, son langage reste éminemment personnel en raison d’une virtuosité de l’orchestration et d’un sens inné de l’architecture du temps musical.

Son travail avec les interprètes nourrit sa démarche : il ne violente jamais les modes d’émission, de phrasé et les contingences physiologiques liées à la voix ou à l’instrument. Le metteur en scène Matthew Jocelyn a évoqué la question de la théâtralité et de la dramaturgie intrinsèques de la musique de Boesmans et remarqué qu’elle donnait l’impression d’être « sans coutures », expression qui lui va comme un gant.

Comment Boesmans fabriquait ses opéras

« J’écris tous les jours, très tôt, 7 heures, avant le facteur et le téléphone. Je travaille lentement. Le soir c’est bien pour penser. On est plus sensible le soir, plus lucide le matin », avait confié le compositeur qui disait mettre trois ans pour écrire un opéra. La première question qu’il dit se poser est celle du ressenti de l’auditeur, notamment sa compréhension du texte. Dans la plupart de ses œuvres lyriques, il veille à ce que les mots ne soient pas rendus incompréhensibles par la mise en musique.

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Les thèmes musicaux choisis sont assez simples, parfois entendus dans la rue ou dans d’autres musiques. Il les sélectionne pour leur capacité à être mémorisés et reconnaissables. Selon Bernard Foccroulle : « Boesmans incorpore des éléments qui proviennent d’un environnement sonore qui est celui de notre monde, qui peut être porteur d’une certaine banalité. » Cette familiarité a fait sa force : « Ce qui me vient c’est toujours une chose qui appartient au connu. Ça peut être étrange. Et on me dit que ma musique est très originale malgré ça », disait-il.

« Nombre de mes œuvres partagent cette représentation de la souffrance par le prisme de la compassion et de la grâce »

Philippe Boesmans

La compassion et la grâce

Les thèmes choisis par Boesmans ont un autre point commun : sa capacité à faire naître de la compassion. Dans Pinocchio, au-delà de montrer les souffrances du petit garçon, il montre combien Geppetto est touché par le destin de son fils. « Nombre de mes œuvres partagent cette représentation de la souffrance par le prisme de la compassion et de la grâce, a témoigné le compositeur. C’est pour moi une source d’inspiration essentielle. La grâce est une chose dont on ne parlait plus. C’était un mot qu’on osait plus utiliser. Du moins dans le monde du théâtre, après la guerre. Revenir à la grâce de Mozart, après que le monde a été à feu et à sang après la Shoah, ça paraissait absurde et indigne. »

S’il accorde de nombreux entretiens, Philippe Boesmans demeure toutefois un homme secret. De même, sa musique et sa pensée se dérobent à l’analyse, échappent aux systèmes, aux références, aux certitudes. Il se définit avant tout comme le « maître du temps musical », celui qui « donne le temps d’exister à ses personnages », celui qui « met tout simplement des points et des virgules dans sa musique ».

 Promenez-vous dans cette exposition virtuelle à travers la vie de Philippe Boesmans.

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