COMPTE-RENDU – Après l’Idoménée de Mozart en Septembre, et le Peter Grimes de Britten en octobre, c’est un opéra romantique que nous propose le Metropolitan Opera de New York : La Traviata, de Giuseppe Verdi.
Il n’était pas écrit que l’opéra de Verdi devienne le monument lyrique qu’il est devenu, tant la première à Venise en 1853 avait déçu les contemporains. Mais au fil des représentations suivantes, Verdi a su déjouer le mauvais sort, et la Traviata, embrasser sa destinée d’opéra le plus adulé du répertoire. Au Metropolitan Opera de New-York, le voici représenté dans une production remarquable de Michael Mayer, en forme de tragédie grecque.
Violetta au pays de Cendrillon
Pourtant à première vue, les décors (Christine Jones), costumes (Susan Hilferty) et lumières (Kevin Adams) évoquent davantage l’univers de Disney que le théâtre athénien. Tout en robes second empire à volant et manches bouffantes ou redingotes et gilets de casimir, la distribution se meut dans un décor on ne peut plus rococo, que viennent tout juste moderniser une troupe de danseurs aux mouvements subtilement plus contemporains.
Mais dès l’ouverture, alors que seule retentit la musique de l’orchestre du Metropolitan Opera, irréprochable dans cette production, sous la baguette souveraine de Daniele Callegari, le rideau se lève et laisse apparaître sur la scène, figés et muets, les principaux protagonistes de l’intrigue. Violetta (Nadine Sierra) au centre, est étendue sur un lit et pâle comme la mort. Elle a visiblement déjà regagné l’autre rive du Styx alors qu’à son chevet, Alfredo (Stephen Costello) sanglote en silence, secondé de son père (Lucas Salsi), du dc Grenvil (Paul Corona) et d’Annina (Eve Gigliotti).
À lire également : Notre compte-rendu d'Aïda à l'Opéra Bastille
Ainsi, le funeste destin de la courtisane, que la tuberculose emportera trois actes plus tard, nous est d’emblée dévoilé par cette scénographie délibérément révélatrice. Le sort en est jeté pour Violetta, et l’opéra peut maintenant commencer…
Nadine Sierra, vraie reine du drame
Violetta est interprétée par Nadine Sierra, magistrale et poignante dans ce rôle. Par delà son impeccable technicité vocale, elle nous offre, par ses rires, soupirs et sanglots, l’éclat de réalisme que seuls peuvent obtenir les chanteurs qui se piquent de vraiment jouer leur personnage. Dans cette scénographie singulière, Violetta semble se muer en Iphigénie, sacrifiée sur l’autel de sa vie de sybarite, et dont la fin tragique est ignorée de tous sauf d’elle-même et de nous, spectateurs complices et d’autant plus saisis par l’inexorable destin qui se déroule sur scène.

Le lit de mort dans lequel gisait notre héroïne lors du premier tableau garde cette place tout au long des trois actes, comme pour rappeler que dans toute bonne tragédie, on ne peut échapper au destin. Cette couche, tour à tour boudoir recueillant confidences et secrets, lit de noce pour Violeta et Alfredo, ou lit de débauche pour les noceurs venus célébrer ces bacchanales frénétiques et boire à la (mauvaise) santé de leur hôte, reste indifférente à ces successifs changements de fonctions, occupée simplement à attendre que Violetta, à bout de souffle et de vie, vienne s’y éteindre en une ultime et déchirante aria. Quand Jean Cocteau écrivait: “un chef d’œuvre est une bataille gagnée contre la mort” peut-être pensait-il à l’ironie tragique de La Traviata. En ne pouvant échapper à son funeste sort, Violetta devait vaincre l’oubli et rester pour nous tous l’allégorie éternelle de la femme dont l’apparence de courtisane cachait le coeur de plus noble, et le plus pur.