INTERVIEW – Enregistrements de légende, créations d’oeuvres mythiques : l’Orchestre Lamoureux est un morceau d’histoire à lui tout seul. Crée en 1881, l’association continue aujourd’hui son travail au cœur de la machine musicale française, sous la direction de son chef, Adrien Perruchon. Entretien en trois questions.
Retrouvez ici la programmation complète de l’Orchestre Lamoureux, saison 22/23
Vous avez pris la tête de l’Orchestre Lamoureux il y a bientôt deux ans, le premier poste de directeur musical de votre carrière de chef d’orchestre. Vous étiez auparavant musicien d’orchestre notamment avec le Philharmonique de Radio France. Alors, qu’est-ce que ça fait de passer au modèle associatif ?
Lamoureux c’est une identité forte dans le monde de la musique : mélomanes et professionnels à travers le monde me font très souvent part des références qu’ils ont avec l’orchestre, son histoire, sa discographie… Ce legs est aussi beau qu’important, mais ce qui fait vraiment l’orchestre est son modèle et ses artistes.
Une association symphonique dont les membres sont sociétaires dicte un fonctionnement forcément différent des « boutiques » publiques. Quand j’ai été approché par l’orchestre, nous nous connaissions déjà artistiquement, et sommes tombés d’accord sur les axes et missions que nous partageons – c’est assez inédit de pouvoir dialoguer avec chacune et chacun sur différents sujets et j’aime beaucoup travailler comme ça ! On se retrouve vraiment autour du projet.
Le mix budgétaire public-privé fait que l’orchestre assure sa mission d’utilité publique tout en créant les conditions de son développement artistique, notamment par le biais de coproductions.
L’orchestre rayonne ainsi en région parallèlement à la saison parisienne que nous avons à cœur de porter au-delà du périphérique. Nous sommes heureux, cette saison, de proposer plusieurs rendez-vous à La Seine Musicale, une salle épatante et un lieu foisonnant, qui nous permet d’accueillir le public dans de très bonnes conditions, notamment les familles qui se pressent à nos Bébé Concerts.
Justement, dans votre première déclaration, à votre prise de fonction, vous assuriez vouloir « développer les propositions artistiques de l’orchestre, en plus d’accentuer les actions à destination de la jeunesse » : pouvez-vous nous en dire plus ? On vous sait par ailleurs engagé auprès de la structure « Orchestre à l’École » .
« Orchestre à l’École » est une association avec laquelle je collabore depuis de nombreuses années et c’est tout naturellement que cela se prolonge avec Lamoureux en partageant plusieurs fois par saison la scène avec ces écoliers musiciens. Les répétitions sont aussi des moments d’accueil de jeunes, musiciens ou non, et nos membres se déplacent régulièrement dans les écoles, hôpitaux entre autres lieux où la musique se fait trop rare.
L’insertion des nouveaux et futurs arrivants dans la profession est aussi une des interfaces de l’orchestre avec la jeunesse : nous avons une académie, et plusieurs partenariats avec des institutions (École Normale de Musique de Paris Alfred Cortot, Conservatoires de Vallée Sud – Grand Paris…). C’est d’ailleurs un rôle tout à fait historique des associations symphoniques que d’être pépinières de la vie musicale française, souvent un premier job dans le métier, une première « place » d’orchestre ; après tout c’est aussi le cas pour moi comme directeur musical !
Les trois prochains programmes symphoniques de la saison de l’Orchestre Lamoureux comportent tous au moins une œuvre de Lili ou Nadia Boulanger. Y-a-t-il une raison particulière, ou est-ce que vous êtes juste un grand fan ?
Nadia Boulanger, c’est un peu comme Lamoureux. Vous prononcez son nom et les gens connaissent. En rigolant on pourrait dire que tout musicien actif de nos jours aurait trois degrés de séparation avec « Mademoiselle » tant elle a rayonné, comme interprète, cheffe d’orchestre et de chœur, autrice, et bien sûr pédagogue !
En plongeant dans l’histoire de l’orchestre, on retrouve certains artistes au fil du temps, mais dans le cas de Nadia Boulanger, elle aura vraiment collaboré avec Lamoureux sous un nombre de casquettes assez étonnant, défendant toutes les musiques y compris les bouleversants opus de sa sœur Lili, une fulgurante prodige.
C’est le sens du concert Mademoiselle in Paris du 18 février qui rassemble, autour de la Fantaisie Variée pour piano et orchestre, des compositeurs maitres et disciples (Ravel, Bernstein, Copland) parmi les plus proches de la grande Nadia.
Le programme du concert du 22 janvier est un mélange d’œuvres nées dans les grandes guerres. L’idée m’est venue cherchant une première partie de concert pour Carmina Burana avec un orchestre américain, la récupération politique de certaines œuvres étant un vrai sujet outre-Atlantique : mon choix s’est porté sur une œuvre de Copland de la même année que le tube de Carl Orff, la musique d’un compositeur local, Juif, homosexuel permettant un intéressant contrepoint et montrant ainsi plusieurs aspects de la création musicale dans ces temps troublés. Notre concert parcourra donc trois œuvres nées dans le temps des deux guerres mondiales à Paris, Vienne et Moscou.
En mai, à la Salle Gaveau, les deux mélodies avec orchestre interprétées par Chloé Briot seront une vraie redécouverte car elles n’ont jamais été entendues depuis la création in loco en 1909. Je suis d’ailleurs heureux et fier qu’elles puissent à cette occasion être éditées et trouver dorénavant leur juste place dans le répertoire des solistes et orchestres… Mission accomplie ! »