COMPTE-RENDU – Au Théâtre des Champs-Élysées (Paris), le metteur en scène Olivier Py fait d’une pierre deux coups, réunissant, en un même décor à deux faces, les premiers opéras de Stravinsky et Poulenc, Le Rossignol et Les Mamelles de Tirésias.
Le décor et son envers
Franchement, il fallait oser, et il l’a fait, pour le meilleur et pour le Py : associer deux opéras, Le Rossignol d’Igor Stravinsky et Les Mamelles de Tirésias de Francis Poulenc, en un même décor à deux fa(r)ces, le premier se déroulant dans les coulisses du second. Et ça fonctionne. Il faut dire que ces deux opéras ont des points communs : ce sont les premiers de leurs auteurs, ils durent chacun une petite heure et mobilisent un nombre restreint de solistes et d’interventions des choristes. On peut presque parler, dans les deux cas, d’opéras de chambre.
Pour autant, Le Rossignol est sensé se dérouler dans une forêt en bord de mer, la nuit, avec un pêcheur, qui, dans son bateau, écoute le magnifique chant du rossignol. Aux antipodes de coulisses de théâtre, donc. Qu’à cela ne tienne, Py détourne le problème en un clin d’œil… de crâne, puisque la silhouette d’un bateau en coulisses devient, côté scène, une tête de mort qui s’affiche en fond d’écran.
Sublimes roucoulades
Pendant qu’on assiste, au 1e étage des coulisses, à l’envers du décor des Mamelles de Tirésias, avec les entrées et sorties des protagonistes, se déroule, au rez-de-chaussée, l’histoire du Rossignol. Évidemment, on se demande un peu ce que fait un vieillard alité au milieu de la scène (Jean-Sébastien Bou, en Empereur de Chine). Puis, peu à peu, on se laisse porter par l’intrigue et surtout par la magnifique qualité musicale de l’instant. Une qualité musicale faite de superbes irisations sonores des Siècles, dirigé par François-Xavier Roth, ainsi que par le plateau vocal, emmené dans les hauteurs, avec une grâce inouïe, par la soprano colorature Sabine Devieilhe, qui campe un rossignol aussi léger que virevoltant et envoûtant.
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Un opéra-bouffe à la farce épaisse
En pendant de ce Rossignol, à l’endroit du décor, Les Mamelles de Tirésias, de Francis Poulenc. Si Le Rossignol flirtait avec l’absurde, en mettant en concurrence un oiseau réel et un oiseau mécanique, Les Mamelles de Tirésias y plongent avec délice, pour une critique acerbe de la famille comme socle d’un pays, en réponse, sans doute, à la politique nataliste, contemporaine de l’œuvre. Il faut dire que le livret, de 1917, est de Guillaume Apollinaire, précurseur du surréalisme… Opéra-bouffe à la farce bien épaisse, Les Mamelles de Tirésias mettent en scène une femme qui, pour signifier son refus d’être assignée comme simple parturiente, se fait faire une ablation des Py, pardon, des seins. Et dire qu’on est il y a un peu plus de 100 ans !
De mal en Py
Pour illustrer cela, Olivier Py n’y va pas avec le dos de sa cuillère en bois, rajoutant une couche à une farce déjà lourde, à grands renforts de go-go dancers, travestis et organes sexuels dessinés aux néons crus. Mais encore une fois on ne peut que s’incliner devant le métier et la maîtrise du sujet. La finesse musicale de Poulenc est parfaitement servie par Les Siècles, les chanteurs sont parfaits, le chœur impeccable, tout comme la scénographie, les éclairages et les costumes, tout en kitsch et en strass.
Et Py tant Py
De nouveau, comme dans Le Rossignol, le plateau vocal est emmené par une Sabine Devieilhe en forme supersonique. Montée sur ressorts, elle mène son monde, de sa voix flûtée, légère et acrobate, « ayant réussi l’amalgame de l’autorité et du charme », comme aurait dit Michel Sardou. On l’imagine même capable de « maîtriser à fond le système, accéder au pouvoir suprême, s’installer à la présidence et de là faire b…er la France » !