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Mignonne allons voir si la rose…

DANSE – L’époustouflante chorégraphe Anne Teresa de Keesrmaeker s’est alliée à l’archet virtuose d’Amandine Beyer et leurs ensembles respectifs, Rosas et Gli incogniti, pour le spectacle Mystery Sonatas / for Rosa au théâtre du Châtelet. 

Une surprise nous attend

Alors que la première, ce mercredi 22 mars, a été mouvementée avec l’arrivée de la CGT spectacle sur la scène au rideau levé, c’est finalement la représentation du 23 mars qui a été annulée. 

Après cette interruption et les discours politiques, c’est Anne Teresa de Keermaeker qui, au micro, reprend possession de la scène pour lancer le spectacle. Les lumières s’éteignent, silence, les cinq musiciens s’installent sur scène, à gauche. Que ce soit le théorbe ou l’archiluth, nous réalisons que nous entrons dans un univers baroque, le violon, la viole de gambe et le clavecin venant compléter ce décor. Puis les danseurs s’avancent, toujours dans le noir et le silence. En place, ils commencent à bouger, bras, jambes, appuis. La musique qui les accompagne est le silence, ou plutôt le bruit de la salle, les personnes trouvant un confort plus adapté sur leur siège, eux aussi changeant leurs appuis. Ce parallélisme spontané rappelle 4’33 de Cage.

Le silence qui suit 4’33 est encore du John Cage…
Un chemin tortueux
Le parcours harmonique des Sonates de Rosaire, pour les amateurs de solfège…

Des projections sur le fond de scène apparaissent, l’accord de la sonate, puis son numéro en chiffres romains. La musique baroque commence. Il s’agit des Sonates sur les mystères du Rosaire, du compositeur Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704). Chef-d’œuvre pour violon qui a propulsé la gloire de son auteur comme elle propulse ce soir les danseurs. Amandine Beyer se décrit d’ailleurs avec son orchestre comme le trampoline, le sol des danseurs. Le risque était grand puisque ces quinze pièces légendaires se révèlent, notamment dans l’usage de la scordatura, extrêmement difficile, le violon étant accordé de manière irrégulière afin d’amplifier la couleur et l’intensité émotionnelle. L’exécution virtuose dévoile un paysage aux formes variées, danses et variations, contrastes et tonalités. 

La richesse du dialogue dans la promenade

Si la musique nous entraîne dans ce spectacle, elle entretient avec la danse un fructueux dialogue, un « concert de danse » comme l’appelle la chorégraphe. La musique, parfois seule active sur scène, ou au contraire s’arrêtant, pour mettre en valeur exclusivement les danseurs. Brutalement, des flashs lumineux viennent entrecouper la promenade nocturne, comme un tonnerre et les surprenantes chansons de Lynn Anderson, Rose Garden, et de Madonna, Ray of light. Les lumières parfois inexistantes laissent peu distinguer les danseurs lorsqu’ils sont eux-mêmes de noir vêtus.

Les silhouettes ont un peu de mal à se découper dans la lumière. ©Anne Van Aerschot

La marche, quant à elle, est très réussie et insuffle la réflexion. Keersmaeker dit « la marche organise l’espace et le temps ». Les danseurs marchent, courent, ensemble, seuls, en mouvement coordonnés, désorganisés, en suivant des lignes, des cercles, des spirales, en avant, en arrière. Avec un vocabulaire de mouvements élémentaires trouvant son inspiration chez l’enfant, les gestes sont petits ou amples, en vertical ou en horizontal à terre, allongé, ou assis.  Des motifs trouvent leurs sources dans l’acrosport, le break dance, le floss ou kid backpack et autres danses populaires de folklore. Les formes géométriques si chère à notre chorégraphe forment une admirable architecture en mouvement, entre abstraction et monde physique. 

À lire également : Six suites de Bach, à l'école d'Anne Teresa de Keersmaker
Parcours ! ©Anne Van Aerschot
Un rapport au temps 

L’horloge dessinée par les danseurs alignés -non strictement- tantôt en avant pour le sens inverse de l’aiguille, tantôt en arrière pour le sens des heures, est reprise pour clôturer 2h15 de danse hypnotique. La structure créée par les corps dansants se détache, telle des pétales tombant d’une rose pour ne rester que la tige, un solo de violon apportant la sève. La beauté de cet instant suspendu a marqué le cœur et l’esprit mais s’évapore rapidement à l’écoute de Madonna sur laquelle la troupe salue, et le public détalle. A la seconde où Ray of light se termine, la salle est quasiment vide, reposant à nouveau la question du temps…

©Anne Van Aerschot

 

Autour du spectacle

Mystery Sonatas / for Rosa  au Théâtre du Châtelet à Paris jusqu’au 25 mars,
puis à l’Arsenal de Metz le vendredi 31 mars

Du 31 mars au 2 avril au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris : 5Agon, performance dans le cadre de l’exposition « Anna-Eva Bergman, Voyage vers l’intérieur »

Du 6 au 9 avril, à la Maison de la culture de Seine-Saint-Denis – Bobigny : Les Variations Goldberg BWV 988, par Anne Teresa de Keersmaeker (chorégraphie et danse) et Alain Franco (piano)

Disque « Mystery Sonatas » d’Amandine Beyer et Gli Incogniti paru chez Harmonia Mundi le 17 février  https://open.spotify.com/album/15HV7LRczpm3hDBTMoh8Sb 

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