SPECTACLE – Sur une musique de l’italien Ludovico Enaudi et dans une mise en scène de Robert Wilson, Isabelle Huppert, magistrale, est capable de tout. Sur la scène de l’espace Cardin, elle prouve une fois de plus qu’au théâtre c’est une reine. Et pas n’importe quelle reine, Marie Stuart.
Trois grands artistes qui se partagent le trône
Mary Said what she said est repris aujourd’hui à l’espace Cardin où il été créé en 2019, dans le cadre des saisons hors les murs du Théâtre de la Ville. Depuis, cette pièce a été applaudie sur les plus grandes scènes européennes : Madrid, Barcelone, Lisbonne, Amsterdam, Hambourg, Florence et Lyon. Elle finit sa tournée à Paris pendant encore un mois, pour le plus grand bonheur de ceux qui n’avaient pu y assister il y a quelques années. Mary signe la troisième collaboration entre Isabelle Huppert, le metteur en scène américain Robert Wilson et le scénariste Darryl Pinckney, après Orlando en 1993. Isabelle Huppert le raconte ainsi dans le dossier de presse : « C’est Darryl Pinckney qui me l’a d’abord envoyé (ce texte) il y a plusieurs années. Je l’avais trouvé très beau ». Et personne d’autre qu’elle ne pouvait incarner Marie Stuart pour cette mise en scène artistique de Robert Wilson.
Mais au fait ça parle de quoi ?
Mary Said What She Said est un des monologues pluriels écrit par Darryl Pinckney de la reine Marie Stuart à l’aube de son exécution. Ses souvenirs surgissent. Marie Stuart, reine de France et d’Ecosse a eu une vie trépidante et fascinante, digne d’un roman biographique de Stefan Zweig. Reine d’Écosse à six jours, puis reine de France à dix-sept ans par son mariage avec François II, veuve à 18 ans, puis second mariage avec le lord Darnley tout en étant la maîtresse du comte Bothwell, Marie Stuart est une figure incontournable de l’histoire de France et d’Angleterre. Et l’histoire est loin de s’arrêter là. Comme son amant Bothwell assassine son mari, elle court se réfugier auprès de sa cousine Elisabeth I, reine d’Angleterre, qui l’assigne à résidence avant de la décapiter à coup de haches. Pour son dernier matin, Mary était vêtue de rouge et le bourreau du s’y mettre à plusieurs fois pour lui couper la tête. Amour, passion, haine, adultère, meurtre, décapitation, Catholiques, Protestants, France, Ecosse, Angleterre… Bref, il y avait de la matière pour raconter ce destin hors du commun,dans un monologue d’1h30 par la reine du théâtre, Isabelle Huppert.
Robert Wilson, maître de la mise en scène et des arts visuels
Dessinateur, sculpteur, plasticien, peintre, designer, architecte, metteur en scène, Robert Wilson a tellement de cordes à son arc, qu’il est devenu l’un des maîtres dans le monde du spectacle et des arts visuels. Et comme Paris est l’une des capitales mondiales de l’art, il est normal que Robert Wilson soit omniprésent sur la scène parisienne. On ne compte même plus le nombre de ses mises en scène à l’Opéra de Paris (Madame Butterfly – mise en scène historique qui se joue depuis 1993 ou Turandot dernièrement), et au Théâtre de la ville, dont font partie Mary Said what she said et Jungle Book. C’est l’un des metteurs en scène les plus bankables du moment et il fut reconnu dès les années 1960 comme l’une des figures de proue de l’avant-garde théâtrale de Manhattan. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, une mise en scène de Robert Wilson est reconnaissable par son univers, ses jeux de lumières et sa couleur bleue. Le bleu est à Wilson ce que le noir était à Soulages. Pour ses jeux de lumières, Mary devient une expérience visuelle et musicale à vivre. Mais sa réussite tient surtout de la reine du théâtre : Isabelle Huppert.
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Huppert, corps mécanique et émotions organiques
Ce spectacle est avant tout une performance : celle d’Isabelle Huppert. Seule sur scène, elle apparaît tout d’abord de dos en contre-jour, impassible, corsetée dans une longue et lourde robe noire avec une fine collerette et se meut de façon imperceptible, comme un fantôme, le fantôme d’une reine. Sa silhouette fine est transpercée par des lumières fulgurantes. Le fond nu comme toujours est parfois tapissé de couleur blanche, bleue, grise, parme et son visage est parfois illuminé en blanc ou en vert. On ne reconnaît que sa voix, qui se mêle à la musique de Ludovico Einaudi. Cette voix est comme un chant de sirène, parfois mélodieux, parfois éclatant, parfois vindicatif. Parfois des cris d’outre-tombe sortent de sa bouche et parfois sa voix nous berce. Et, parfois, cette même voix devient inaudible face à la musique qui prend le pas. Cette voix s’accompagne toujours de mouvements, perceptibles ou imperceptibles, dans une mise en scène millimétrée. Son corps s’élance, elle traverse la scène en diagonale à petit pas avec des allers-retours incessants digne d’un athlète de haut niveau. Elle s’essouffle et se fige comme un automate désincarné pendant de longues minutes. Son corps est immobile, avec ses mains jointes, et nos yeux ne peuvent alors plus quitter sa mâchoire fascinante qui articulent des phrases répétées en boucle. On ne comprend pas tout mais on boit ses mots comme du petit lait. Et cette reine se fond complètement dans le paysage visuel de Robert Wilson pour ne faire plus qu’un.
Bref, vous l’avez compris, Isabelle Huppert nous donne tout et est capable de tout sur scène. N’oublions pas qu’elle a soixante-dix ans et en parait vingt de moins, car la performance qui s’est jouée ce soir n’est pas seulement celle d’une actrice mais celle d’une athlète de haut niveau, par ses mouvements chorégraphiques acrobatiques. Le public lui rend bien et elle est saluée par des tonnerres d’applaudissements. Du grand art par une grande reine.