RENCONTRES – Stella Angeletou (Directrice de production artistique) et Panaghis Pagoulatos (Directeur de la Coordination artistique et du casting) nous présentent l’hommage que rend l’Opéra national de Grèce à la légendaire Maria Callas. Cette programmation débute par la production de Médée de Cherubini ce 25 avril et s’entendra sur plusieurs mois.
Pouvez-vous nous présenter l’hommage que l’Opéra national de Grèce rend à Maria Callas ?
Stella Angeletou : Nous souhaitons montrer les relations que Maria Callas, l’artiste qui a renouvelé l’art de l’opéra, entretenait avec la Grèce et son théâtre lyrique unique. Nous allons ainsi dévoiler des aspects d’elle qui restent peu connus. Lorsqu’elle a quitté la Grèce pour faire carrière à l’international, elle était déjà une artiste complète, tant en termes de répertoire que de formation et de qualités scéniques. Ainsi, nous organisons en septembre un grand gala à l’Odéon d’Hérode Atticus, pour lequel nous invitons des chanteurs internationaux pour interpréter le répertoire que Callas a chanté dans ce même théâtre en 1957 et avant de quitter la Grèce en 1945.
Panaghis Pagoulatos : Ainsi, ce gala reprendra aussi des airs de Fidelio de Beethoven et du Contremaître (O Protomastoras) de Manólis Kalomíris que Callas a chanté également à l’Odéon. Cet opéra narre l’histoire d’un pont à Arta qui ne cessait de s’écrouler, jusqu’à ce qu’une légende indique que la femme du contremaître devait y être encastrée pour que le pont tienne. Il s’agit d’un opéra de l’école nationale grecque d’influence wagnérienne qui s’inspire beaucoup de la musique populaire grecque et byzantine.
Stella Angeletou : Nous donnons également Médée de Cherubini dès ce mois d’avril, dans une coproduction avec le Metropolitan Opera, l’Opéra du Canada et l’Opéra lyrique de Chicago. C’est un rôle que Maria Callas a chanté en 1961 à Épidaure, un évènement très important pour nous. Elle y avait chanté Norma l’année précédente : c’est la première fois qu’un opéra était chanté dans ce théâtre qui a 2000 ans d’histoire. En même temps, nous proposons une installation visuelle consacrée à l’histoire de Médée, avec des références à Katína Paxinoú qui a joué le rôle dans la pièce d’Euripide à Epidaure en 1956, avec Aléxis Minotís qui y a ensuite mis en scène l’opéra.
À Lire : notre compte-rendu de Médée depuis le Met
Panaghis Pagoulatos : Lors d’un vidéo-récital qui sera présenté sur GNO TV, des artistes lyriques chanteront des airs que Callas a interprétés avant de quitter la Grèce en 1945. Ce sera chanté en grec, comme elle le fit à l’époque. Lorsque Maria Callas a débuté, elle a d’abord pris des cours au Conservatoire national (elle a chanté Cavalleria Rusticana pour le concert de fin d’étude) et elle a commencé à travailler à l’Opéra d’Athènes. Elle a alors fait une série de récitals pour l’armée pendant la guerre, avec des mélodies grecques et européennes traduites en grec. Nous avons donc voulu confier à des artistes -jeunes et confirmés-, sopranos ou mezzos (puisque Callas a approché les deux répertoires), des airs ou des rôles qu’elle a chantés durant cette période.
Stella Angeletou : Nous monterons également une exposition basée sur nos archives (photos, publications rares, etc.) et des collections qui ont été léguées par des collectionneurs à l’Opéra national de Grèce. Nous avons aussi une collaboration avec l’Université technique de Crète qui mène une étude sur la relation du son avec l’espace. Dans ce cadre, ils vont passer des commandes à une dizaine d’artistes de l’art numérique pour offrir une visualisation du son de la voix de Callas dans l’espace de notre théâtre. Nous sommes très intrigués et excités en attendant de découvrir les résultats artistiques de cette approche originale.
Enfin, nous réalisons un documentaire centré sur ses premières années en Grèce, ses études au Conservatoire avec Elvira de Hidalgo et ses premiers contrats avec l’Opéra national de Grèce, qui fut son premier employeur. Comme de bien entendu, ce documentaire est l’un des points culminants de notre hommage et il sera projeté le 2 décembre dans la salle Stavros Niarchos.
Il y a déjà eu beaucoup de documentaires sur Maria Callas : qu’est-ce que votre documentaire apportera de nouveau ?
Stella Angeletou : Il n’existe pas de matériel visuel de Callas d’avant la guerre à part des photos, donc nous allons raconter l’histoire de cette artiste qui a développé son art à une période difficile, puisqu’elle a vécu en Grèce toute l’occupation allemande. Elle a souffert, tout comme sa famille et notamment sa mère et sa sœur. Nous allons montrer les sacrifices qu’elle a consentis. Il y aura des récits, par exemple d’artistes qui chantaient à l’époque à l’opéra, ainsi que des photos de nos archives. Nous évoquerons également les trois fois où elle venue se produire en Grèce quand elle était déjà une star internationale en 1957, 1960 et 1961. Nous ne parlerons pas de sa vie privée, mais nous nous concentrerons sur sa personnalité et son travail artistique.
À quoi faut-il s’attendre concernant la production de Médée ?
Panaghis Pagoulatos : Le choix du titre est très judicieux car c’est une œuvre, basée sur une tragédie grecque, que Callas a sortie de l’oubli. Vocalement, elle l’a interprétée presque facilement au regard de la difficulté du rôle. C’est une très belle production (qui n’a rien à voir avec celle de Minotís) avec son miroir incliné au-dessus de la scène. Elle place l’intrigue à l’époque du compositeur, mais la caractérisation du personnage de Médée reste assez fidèle au livret. Il s’agira en outre de la prise de rôle d’Anna Pirozzi. C’est une artiste qui a fait du bel canto, qui a une voix aussi flexible que dramatique : elle devrait faire une excellente Médée.
Quel est l’héritage de Maria Callas pour la Grèce ?
Panaghis Pagoulatos : Quand j’étais enfant, dans les années 1960, si on entendait quelqu’un chanter, on lui criait « Arrête, Callas ! » : son nom était entré dans des expressions très populaires. C’est la plus grande star mondiale d’opéra et elle est grecque. C’est une icône de la culture du XXème siècle, qui fait rayonner la Grèce. L’association de Callas avec l’Opéra d’Athènes a produit trois évènements devenus mythiques, avec son récital à l’Odéon d’Hérode Atticus et ses deux productions à Epidaure. Partout dans le monde, des cantatrices se sont inspirées d’elle sur des générations. Sa romance avec Aristote Onassis, iconique également, unissait deux piliers grecs, l’un dans le monde économique et l’autre dans le monde de l’art.
Stella Angeletou : C’est une figure grecque majeure. Ses interprétations sont connues même par les gens qui ne s’intéressent pas à l’opéra.
En tant que directeur de casting, dans quel rôle auriez-vous rêvé la distribuer ?
Panaghis Pagoulatos : Bien sûr j’aurais voulu la présenter dans Norma, un rôle qui a besoin de son aisance dans les coloratures dramatiques. Parmi les œuvres qu’elle n’a pas interprétées, j’aurais voulu l’entendre en Charlotte à la fin de sa carrière : je regrette qu’elle n’ait pas pris la décision d’arrêter les contre-mi bémols pour continuer quelques années dans une tessiture plus centrale. Je l’aurais surtout orientée sur d’autres choix d’enregistrement. Je regrette qu’elle n’ait pas enregistré en studio Anna Bolena ou Il Pirata ou même Armida de Rossini et ne pas avoir joué sur scène Manon Lescaut ou La Bohème, rôles qu’elle a seulement enregistrés. J’aurais aussi voulu qu’elle accepte de faire des captations filmées, mais le projet de Tosca, par exemple, n’a jamais abouti.