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Hillary Hahn et Mikko Franck : humains, trop humains…

CONCERT – Vendredi 21 avril, l’orchestre philharmonique de Radio France a interprété, dans l’auditorium de la Maison de la Radio, le concerto pour violon en Ré Majeur de Johannes Brahms (op. 77), avec la violoniste Hilary Hahn, ainsi que la cinquième symphonie de Chostakovitch (op. 47). Deux œuvres qui, en se répondant à un peu plus de cinquante années d’écart, nous ont fait entendre toutes les modulations sentimentales et psychologiques de l’âme humaine.

Brahms ou l’esthète romantique

Cinquante années les séparent, et avec elles le gouffre extraordinairement fécond d’un demi-siècle d’innovations musicales. Qu’y a-t-il de commun, en effet, entre la gaieté rieuse et apaisée du violon romantique, et l’angoisse terrible et ténébreuse, que traduisent les harmonies désespérées de l’orchestre de Chostakovitch ? Le pari de faire tenir ensemble, dans le programme d’un même concert, deux œuvres qui semblent si éloignées l’une de l’autre, si disparates sur tous les points, n’a pourtant pas effrayé l’orchestre philharmonique de Radio France, qui l’a mené à bien avec une indéfectible précision. Peut-être leur point commun était-il justement d’exprimer, à leur manière, toutes les modulations saisissantes de l’âme humaine.

Au détour des trois mouvements harmonieusement bâtis du concerto de Brahms, l’habileté virtuose de la soliste, Hilary Hahn, nous a fait entendre toute la suavité aérienne de cette œuvre difficile, qu’ont interprétée les plus grands violonistes : Joseph Joachim, à qui elle était dédicacée, Christian Ferras, Itzhak Perlman, ou encore Anne-Sophie Mutter.

Hillary Hahn dans ce même concerto de Brahms, en 2021

Que peut-il y avoir de si particulier dans la musique de Brahms pour qu’elle nous émeuve autant, et de tant de manières différentes, lorsque nous l’écoutons ? Cela tient sans doute à la délicate et intense variété des impressions qu’elle provoque, à la vivacité de ses motifs, à la grâce radieuse et allègre de ses coloris. C’est la plénitude presque religieuse de l’Allegro ma non troppo, où l’ardeur romantique du violon entre en scène dans un tonnerre d’arpèges. C’est la douceur élégante et raffinée de la mélodie de l’Adagio, qui fait dialoguer le hautbois et le violon dans une conversation aux accents tendres et suaves. C’est la fougue impétueuse, l’exubérant entrain de l’Allegro giocoso, dans toute l’énergie virtuose et galopante de ses harmonies hongroises. C’est une œuvre rayonnante et lumineuse, et l’on aurait même pu avoir droit à un quatrième mouvement, si Brahms n’avait pas décidé d’abandonner le scherzo qu’il avait écrit – et qu’il a finalement intégré, trois ans plus tard, à son deuxième concerto pour piano !

Hilary Hahn, grande interprète de Bach, et une des violonistes mondiales de tout premier plan, a su, avec une grande habileté, passer outre chaque difficulté de l’œuvre, mais peut-être pas en rendre chaque nuance : la trop grande souplesse du tempo, l’abondance des libertés rythmiques, la virtuosité un peu trop sèche du jeu, … tout cela trahissait peut-être quelque peu le caractère exalté et authentiquement joyeux de ce concerto.

Un tonnerre d’applaudissements et une puissante ovation ont cependant récompensé son interprétation, qu’elle a prolongée par deux bis : une pièce de Bach, ainsi que la création européenne d’une œuvre du compositeur américain Steven Banks, intitulée « Through my mother’s eyes ».

Chostakovitch, ou l’envers de la voix humaine

Loin des accents hongrois de cette apothéose en Ré Majeur, la cinquième symphonie de Chostakovitch (1937), en ré mineur, semblait plutôt en fournir la totale contraposée : sombre et tragique, elle porte l’empreinte d’une profonde noirceur et d’un inébranlable pessimisme. La métamorphose est totale : ce ne sont plus des appels joyeusement lancés, mais des cris, des hurlements, une impression de douleur physique, l’incendie d’une âme. L’orchestre, dirigé par le chef finlandais Mikko Franck, a su en rendre toutes les couleurs émotionnelles, toutes les impressions psychologiques.

Car c’est bien de psychologie dont il était question : en un mot, le paysage d’une âme traversée par la douleur, le trouble, la confusion, jusqu’à la vacillante esquisse d’une rédemption finale, dans une cadence véritablement cathartique. Le premier mouvement nous a plongés dans une énigmatique et mystérieuse ligne mélodique, où le déploiement progressif des groupes instrumentaux avait pour corollaire cette atmosphère d’hésitation mélancolique qui fait penser aux symphonies de Gustav Mahler.

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L’oscillation craintive des harmonies cède la place, dans le deuxième mouvement, à l’ironie dansante d’un scherzo, qui mélange les styles, les genres, les humeurs et les atmosphères : c’est ici la parodie d’un tempo de valse, là l’esquisse burlesque d’une marche militaire ; ici les sonorités souriantes de la flûte traversière, là les sombres mouvements des contrebasses dans les graves. L’humour trébuchant de l’Allegretto contraste vivement avec le dépouillement tragique du Largo ; sa sobre austérité, puissamment émouvante, dessine les contours d’une âme assiégée par autant d’angoisses existentielles, dans un intense paroxysme émotionnel. La symphonie se conclut enfin sur la vivacité virtuose d’un mouvement Allegro. Alors que l’agitation frénétique des cordes, le ton martial des cuivres, l’implacable pulsation de cet ouragan militaire martelé par les coups de cymbale semble ne fournir aucune échappatoire, soudain, les cors et les trompettes, dans leurs timbres les plus délicats, font naître une inexplicable et bouleversante embellie, troublante rémission et sereine quiétude au cœur de cette tempête psychologique.

L’orchestre a su admirablement embrasser la redoutable complexité de cette puissante symphonie, où l’on croyait entendre les modulations d’une âme trop humaine – en un mot, une véritable psychomachie.

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