AccueilA la UneCamille Pépin par l'ONF : Éluard, et la manière !

Camille Pépin par l’ONF : Éluard, et la manière !

CONCERT – Ce jeudi 27 avril, l’Orchestre National de France, dirigé par la cheffe australienne Simone Young, a interprété la première symphonie, Titan, de Gustav Mahler, ainsi qu’un concerto pour violon de la compositrice française Camille Pépin, Le sommeil a pris ton empreinte, écrit à partir de poèmes de Paul Éluard. Une création mondiale, amplement applaudie par le public de l’auditorium de la Maison de la Radio.

Polyphonie poétique

L’œuvre avait été commandée par Radio France, qui soutient et défend activement la création contemporaine ; et l’on peut dire que le pari a été réussi. Dans cette admirable composition, Camille Pépin a montré qu’il était encore possible de réinventer le concerto pour violon, dans une veine riche et captivante. Il ne s’agissait pas d’une énième pièce concertante figurant l’affrontement musical d’un orchestre et d’un violon, mais plutôt de l’intuition originale d’un principe de résonance réflexive entre les différentes parties de l’orchestre et l’instrument concertant. Les groupes instrumentaux sont apparus comme une immense caisse de résonnance, réaffirmant les mêmes motifs mélodiques et rythmiques au sein d’une trame extrêmement large et étirée, où les notes s’entrelaçaient, sous forme de trémoli, motifs cycliques et mouvements arpégés.

Le concerto de Camille Pépin est à retrouver en streaming vidéo sur Arte.tv

Dans l’étiolement des lignes musicales, où se devine l’influence de György Ligeti, et dans l’évolution impromptue de la masse sonore, on pouvait déceler des motifs répétitifs, formulés avec une grande vélocité au violon puis repris à l’orchestre dans un vibrant jeu de miroirs, à la manière des idiomes rythmiques et des ostinatos des compositeurs minimalistes américains : John Adams et Steve Reich.

Éluard… et la manière !

Derrière l’uniformité apparente de la masse sonore, la complexité de l’orchestration était à la fois intense et saisissante – à commencer par la virtuose partition du soliste, qu’a admirablement interprétée Renaud Capuçon, au violon. Les instruments, en autant de lignes musicales, s’y font les interprètes exaltés d’une tension insatiable. Il s’en dégage une impression de rêve, un sentiment d’angoisse profonde ; et l’on plonge dans les poèmes surréalistes d’Éluard, dont certains s’avèrent être à l’origine de cette composition. Entre deux acmés musicaux, c’était l’inquiétude qui dominait, à rebours de la « palpitation » inextinguible de l’ensemble, pour reprendre le mot de la compositrice elle-même. Ovationnée par le public de l’auditorium, la talentueuse compositrice, Camille Pépin, est venue en personne saluer sur la scène.

Combat de Titan

Après l’entracte, c’était un morceau de choix d’une autre envergure qui attendait le public. Le changement d’atmosphère était flagrant : pendant la pause, la scène s’était remplie d’instruments en tous genres : harpe, cor anglais, piccolo, contrebasson, percussions, cuivres… en plus des nombreuses contrebasses qui étaient venues en compléter l’effectif initial.

Le chef australienne Simone Young ©Klaus Lefebvre

L’interprétation d’une symphonie de Mahler n’est jamais une chose aisée ; mais ce n’est certainement pas un obstacle pour la cheffe australienne qui officiait pendant le concert, Simone Young, avec ses amples gestes et du bout de sa baguette, habituée qu’elle est à l’exécution des grandes œuvres symphoniques : elle a déjà enregistré une intégrale des symphonies de Brahms, et une autre de celles de Bruckner.

Les deux œuvres de la soirée, chacune à leur mesure, avaient un point de commun : celui de tirer leur inspiration d’une source littéraire. Éluard pour Pépin, Johann Paul pour Mahler. L’écrivain romantique allemand mettait en scène, dans son roman Titan, la tragédie de la vie, à rebours de la fatalité de la mort, dans un monde imprégné par une nature panthéiste. Si le « Titan » de Mahler est, comme le personnage du roman, obsédé par les faiblesses de l’existence humaine et par le suicide, à l’image de Faust, la symphonie nous montre un tout autre spectacle : c’est une titanomachie, un conflit implacable des sons, une tragédie en musique. D’ailleurs, sur les 29 mouvements des 10 symphonies de Mahler, plus de 10 se terminent en mineur…

Dérèglement climatique

Les cordes de l’Orchestre National de France nous ont fait assister, dans le premier mouvement, à un véritable lever du jour (comme dans le Daphnis et Chloé de Ravel) : les cordes tenues se mêlaient aux chants d’oiseaux, dans une synesthésie saisissante, où la musique traduisait le mystère d’une nature enivrante. Dans le Scherzo, cadencé et brillant, le grotesque voisinait avec le sublime ; le trivial y côtoyait la beauté. Mais c’est surtout dans le thème populaire du troisième mouvement (le fameux canon sur le thème de Frère Jacques, en mineur), entamé au violoncelle, où la superposition sans cesse interrompue des thèmes crée une idée de menace permanente, ainsi que dans la cadence qui n’en finit pas du dernier mouvement, que l’interprétation de Simone Young s’est révélée saisissante : les variations du tempo, les jeux de nuances, la direction générale de l’orchestre…

Tout contribuait enfin à donner à ces quatre mouvements le caractère d’une immense fresque épique, quelque part entre l’extase et le drame, à mi-chemin entre le romantisme de Berlioz et de Liszt, et, déjà, un expressionnisme propre au XXe siècle. Difficile d’en sortir indemne : on passe les dix dernières minutes sans pouvoir bouger de son siège, le souffle court, le cœur battant. Titan, c’est une musique à la fois géniale et terrifiante – et la première preuve, dans le domaine symphonique, de l’éclat chatoyant et unique du génie de Mahler.

- Espace publicitaire -
Sur le même thème

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

- Espace publicitaire -

Vidêos Classykêo

Articles sponsorisés

Nos coups de cœurs

- Espace publicitaire -

Derniers articles

Newsletter

Twitter

[custom-twitter-feeds]