CONCERT – Après Vienne, Hambourg, Amsterdam et Cologne, l’Orchestre Philharmonique de Vienne faisait escale au Théâtre des Champs-Elysée,s le temps d’une soirée, pour un programme de musiques de l’Est, de Janacek à Prokofiev et Chostakovitch, sous la baguette du chef tchèque Jakub Hrůša.
Sous le regard aigu de Janáček et de Prokofiev
La venue à Paris de l’Orchestre Philharmonique de Vienne constitue toujours un événement majeur. Avec le chef d’orchestre charismatique Jakub Hrůša à sa tête, futur directeur musical du Royal Opéra House de Londres, la soirée n’en prend que plus de relief ! Le programme élaboré ne vise certes pas à la facilité, même s’il propose des œuvres bien connues du public, dans l’ensemble assez sombres voire dramatiques au niveau de l’ambiance. Composé à l’origine par Leoš Janáček comme une introduction à son opéra, Jenůfa, le prélude symphonique Zárlivost (Jalousie) ne fut pas, en fin de compte retenu, remplacé par un prologue. Cette pièce est donnée en tant que tel au concert et, en cinq minutes seulement, offre un condensé fort dense de l’art du compositeur. Jakub Hrůša fait ressortir avec éclat toute l’agitation passionnelle qui irrigue cette pièce qui expose l’amour de deux frères pour une même femme.
Cette page musicale claque et dérange. Elle démontre que Jakub Hrůša, par les différents plans qu’il met en exergue au niveau orchestral, est par ailleurs un chef lyrique puissant et juste. De larges extraits -neufs au total- de Roméo et Juliette de Serge Prokofiev, issus du ballet éponyme et des Trois Suites d’orchestre, occupent la première partie de soirée. La fougue du chef d’orchestre y trouve à pleinement s’extérioriser, notamment lors de la fameuse Danse des Chevaliers, moment le plus explosif de la partition. Osant dans ce morceau l’accentuation la plus extrême, il sollicite toutes les forces de l’orchestre qui lui répondent au centuple ! Jakub Hrůša s’implique tout autant dans les morceaux plus lyriques, plus chargés en émotion, comme la Scène du balcon ou la Danse d’amour de Roméo et Juliette. Il sait pleinement valoriser chaque pupitre du Philharmonique de Vienne qui déploie des sonorités inouïes, troublantes. La beauté et la plénitude des cordes laisse toujours aussi pantois ! Et que dire de la maîtrise absolue de la famille des bois, des cuivres et des percussions !
Chostakovitch au désespoir
Ces qualités majeures semblent comme se révéler avec encore plus d’acuité dans l’exécution de la Symphonie n°5 en ré mineur de Dmitri Chostakovitch, symphonie la plus célèbre du compositeur. Créée en novembre 1937 à Léningrad sous la baguette du grand chef russe, Evgeni Mravinski, cette symphonie accueillie de façon triomphale marque le retour en grâce auprès des oligarques russes du compositeur, violemment attaqué après les représentations de son opéra, Lady Macbeth de Mzensk jugé trop moderne. « Dans la cinquième symphonie, je me suis efforcé à ce que l’auditeur soviétique ressente un effort vers l’intelligibilité et la simplicité » devait-il déclarer.
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Pour autant, cette symphonie expose sans ambiguïté possible les angoisses ressenties par Chostakovitch, l’oppression qui l’entoure, notamment dans les deux premiers mouvements, Moderato et Allegretto, qui pour sa part se termine dans l’aigu par un magnétique solo de violon et les échappées du célesta. Le second Allegretto, fort bref, fait entrer la lumière par l’utilisation des instruments à vent et les interventions du violon solo. Au sein du terrible final Allegretto non troppo, les cuivres et les percussions occupent une place centrale, mettant en évidence jusqu’à l’apothéose finale le drame vécu par le compositeur et son enfermement dans un régime totalitaire qui le bride dans son inspiration. Une salle debout est venue saluer haut et fort l’orchestre et son chef d’un soir.
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