À L’ÉCRAN – Il y a quelques semaines, nous vous proposions une version contemporaine et librement inspirée du ballet La Belle au bois dormant. Les hasards du calendrier nous réservaient une belle surprise : ce mercredi 24 mai, en direct du Royal Opera House, plusieurs centaines de salles de cinéma mondiales offraient à leurs spectateurs de vivre l’expérience du ballet original de Tchaïkovski et Petipa. Nous avons pour notre part assisté à une rediffusion, ce dimanche 28 mai, et essayons encore de nous remettre de nos émotions.
Une expérience optimale ?
Finie la version VOD regardée chez soi ! Place au spectacle enregistré et retransmis au cinéma donc. Un écran toujours, mais avec de vrais gens dans la salle. Et on peut le dire, c’était du (très) grand spectacle. Les puristes vous diront qu’un ballet s’apprécie avec une vision d’ensemble, une représentation totale de l’espace scénique – en somme, aller à l’opéra, ou rien. Nous sommes plutôt partisans de l’autre école, qui considère que vivre ce genre d’expérience au travers de la caméra permet assurément de mieux profiter des détails, et de bénéficier d’un guidage du regard, chose qui n’a rien d’évident en salle. Ici, les gros plans étaient plus que justifiés : pour rien au monde nous n’aurions voulu manquer la finesse des costumes, le soin apporté au décor (Oliver Messel et Peter Farmer)… et surtout l’expression des danseurs !
Quelle allégresse sur les visages tout au long de la pièce ! L’effort se lisait à peine, et quand on le devinait, les danseuses et danseurs savaient l’habiller d’une grâce qui éveillait une admiration pleine de tendresse en nous. En plus de deux heures, le ballet sut nous attacher à la troupe, à la complicité des solistes (à commencer évidemment par celle du duo Yasmine Naghdi et Matthew Ball). Nous aurions sans doute plus de réserves à émettre du côté de l’agencement de ces séances de diffusion ou rediffusion : comptez d’abord sur un avant-propos éventuel de la part du cinéma ; puis vient la trop longue introduction, à l’écran, par les présentateurs du ROH, qui vont revenir pour des interviews et des commentaires plus ou moins fournis au moment de chaque entracte (et il y en a !). Certaines données méritaient effectivement d’êtres rapportées au public, et les images des coulisses contribuaient aussi à nous rendre la troupe plus familière ; il n’empêche, de simples coupures silencieuses auraient aussi été bienvenues par moments.

Et la danse dans tout ça ?!
Nous aimons nous confronter à des ballets contemporains, qui sont souvent la promesse d’une vraie émulation intellectuelle, et qui repoussent les limites dans lesquelles nous pourrions parfois, par confort, enfermer l’expression artistique. Et pourtant, à titre personnel, une pure recette classique appliquée soigneusement saura toujours nous donner une joie supérieure. La Belle au bois dormant, dans cette version de Petipa réarrangée en 2006, est un trésor de raffinement, de délicatesse, de génie. Comme il est savoureux de se laisser griser par le pur sentiment du beau, sans chercher à analyser ou interpréter outre-mesure ! La troupe du ROH, et les quatre vedettes de la soirée (en plus du duo phare, comptez Mayara Magri dans le rôle de la fée des Lilas et Kristen Mcnally en Carabosse) étaient tout simplement superbes de nonchalance et de légèreté.
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Ce ballet présente de sublimes passages de danse en groupes : on peut ainsi penser aux scènes qui ouvrent chaque acte du ballet, qui consistent presque à chaque fois en des danses festives, divertissements de cour et autres fêtes champêtres. On aura même dans le dernier acte (le moins homogène à nos yeux) un cortège de personnages issus d’autres contes. Mais, de toute évidence, les passages qui font le prestige de ce ballet sont les soli et les danses de couple.
Nos coups de cœur
- Le cortège des fées : lors du prologue et du dernier acte, celles-ci vont chacune exécuter une petite scénette, sorte de concentré d’exercice de style à chaque fois rafraîchissant.
- Les apparitions (quoique un peu kitsch, nécessairement) de la méchante Carabosse, à chaque fois très soignées et impressionnantes.
- Les contrastes, rendus possibles grâce à l’irréprochable orchestre du ROH (les grands thèmes du ballet furent tout simplement superbes) et l’éclairage scénique, permettent de jouir d’ambiance vraiment convaincantes.
- L’opposition la plus séduisante est bien sûr celle des deux fées, représentantes du bien et du mal – saluons ici la qualité de la mime de Mayara Magri.
- La performance de Matthew Ball est à couper le souffle ; son solo dans les bois, juste avant d’avoir la visite en rêve de la princesse endormie, est un moment de majesté et de frisson incroyable.
Le meilleur pour la fin
Nous avons gardé le meilleur pour la fin : Yasmine Naghdi est une formidable princesse Aurore : insouciante, énergique, brillante, ses tableaux furent exécutés avec une simplicité qui faisait oublier la difficulté surhumaine de ce rôle. Pointes, pirouettes, arabesques, sauts, chaque figure révélait une maîtrise impressionnante, et leur enchaînement sans fin nous donnait le vertige. A la fin, nous retenions notre souffle et nos larmes, et n’avons pu articuler que trois mots : …c‘était beau !