CONCERT – A l’occasion de la sortie de son enregistrement des Variations Goldberg, de Johann Sebastian Bach, le claveciniste Jean-Luc Ho ravit le public sous les hautes voûtes de la Sainte Chapelle de Paris, les éléments s’y mêlant à la spiritualité de la musique et du lieu.
Composées à l’intention des amateurs, on pourrait s’étonner de les entendre ce soir, non pas dans un salon intimiste, mais dans le précieux et superbe écrin gothique qu’est la Sainte Chapelle de Paris. Pourtant, l’œuvre de Johann Sebastian Bach dégage constamment une spiritualité profonde et sincère. Cette élévation par la musique trouve alors sa place toute naturelle dans ce décor où les vitraux du XIIIe siècle invitent à regarder progressivement vers le ciel étoilé peint sur les voûtes.
La charpente est solide
Accompagné de son fidèle instrument, clavecin à deux claviers du facteur Emile Jobin ayant appartenu à la claveciniste Blandine Verlet, Jean-Luc Ho s’installe avec sérieux devant un public très international et tout aussi attentif. Le musicien fait preuve des mêmes qualités en concert qu’en enregistrement : un toucher très précis, très maîtrisé même, garantissant une conduite régulière et constante tout en offrant un phrasé conscient des phrasés. Certains pourraient trouver un rien de raideur dans ces doigts disciplinés. Pourtant, tandis que la main gauche se veut solide et sûre, la main droite semble effleurer le clavier avec légèreté. Les Variations se regardant autant qu’elles s’écoutent, pour reprendre les mots mêmes de Jean-Luc Ho, on apprécie justement les jeux des claviers, les mains sautillant d’un registre à un autre ou se chevauchant avec agilité. Le plaisir de l’écoute de l’enregistrement produit par cet entremêlement des voix, indépendantes et virtuoses, prend une autre dimension en concert par cette chorégraphie fascinante.
Le souffle naturel de Bach
Concentré, n’ajoutant aucune extravagance à cette musique qui semble parler d’elle-même, dépassant les difficultés techniques, Jean-Luc Ho reste imperturbable lorsque les éléments semblent se joindre à cette récréation de l’esprit : c’est justement lors de la variation 25, lors de laquelle les mélismes chromatiques de la mélodie créent des couleurs toutes particulières, que la lumière naturelle assombrit brusquement les vitraux. C’est alors que la pluie de l’orage se fait entendre, les doigts courant sur le clavier avec virtuosité, comme pour se mettre à l’abri. Sans tomber dans la théâtralité et encore moins la mysticité, la spiritualité naturelle de l’interprétation revêt ainsi une poésie nouvelle qui participe au charme du concert.
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Les variations 29 et 30 ne manquent néanmoins pas de prestance, précédent une Aria de Capo è Fine libre et presque introspective, qui vaut chaleureux applaudissements et bravi d’un public ravi. Beaucoup profitent de la fin du concert pour prendre en photo le bel instrument qui trône dans ce lieu non moins sublime avant de se faire dédicacer le CD par Jean-Luc Ho.
Confisquée par les pianistes (qui y déversèrent leur ego avant de revenir récemment à plus d’équilibre), l’œuvre retrouve peu à peu son esprit et son instrument d’origine via de jeunes interprètes de haute volée.
Vous ne pouvez vous empêcher de mentionner « un rien de raideur » « conduite régulière et constante », mais vous trouvez la formule définitive: « n’ajoutant aucune extravagance à cette musique qui semble parler d’elle-même ».
Toute la fantaisie y est, la poésie aussi, Simplement ce ne sont pas de grosses nuances à la truelle qui font s’extasier les « connaisseurs », c’est l’extrême subtilité de l’art de l’époque. Dans son langage corseté, Racine contient toutes les brûlantes passions, et Bach n’a pas besoin du truchement névrosé d’un égocentrique. Mais c’est à l’auditeur de fournir l’immense effort d’initier son oreille pour percevoir des richesses: il ne le regrettera pas.