CONCERT – Le dieu de la scène électronique française, Erwan Castex, dit Rone, est de retour à la Philharmonie : avec “L(oo)ping”, il retraverse une partie de son œuvre en dialogue avec l’Orchestre National de Lyon, dirigé par Dirk Brossé, sur des arrangements de Romain Allender. Un voyage vertigineux.
L(oo)ping, ou les cycles de la création
La rencontre de la musique électronique de Rone avec les timbres d’un orchestre live est un projet qui mûrit depuis longtemps. En 2017, la Philharmonie avait déjà proposé une collaboration de ce type au compositeur, mais celui-ci avait provisoirement préféré se limiter à un ensemble à cordes : le trio Vacarme. Sept ans plus tard, le projet initial se concrétise : à partir d’une sélection du répertoire électro de Rone, Romain Allender invente des arrangements orchestraux d’une grande finesse, qui démultiplient encore la palette des timbres. Le public a ainsi le plaisir de reconnaître certains titres, réinterprétés avec une expressivité et une puissance nouvelles.
L(oo)ping, ou l’hallucination des sens
La grande salle Pierre Boulez n’a pas son aspect habituel en ce soir de juin : pour un public exceptionnellement jeune, la scène est reculée, surélevée, baignée de lumières changeantes. Des ombres fantastiques courent sur le plafond et les murs. Le chef à l’avant-scène, le compositeur à l’arrière-scène, l’ensemble des musiciens semblent en transe. Pourtant le spectateur ferme les yeux. Dans cette infinité de possibles offerte par l’alliance de l’électro et de l’orchestre, un timbre isolé s’élève. Il vibre, s’étoffe, s’intensifie, s’accélère, se perd, se noie dans la masse qui le précède et le submerge. Fortississimo, puis cut. Silence.
L(oo)ping, ou l’envol vers les sphères
De simples ostinato répétés et répétés à l’infini, Rone tire une musique incantatoire qui plonge la salle dans une atmosphère mystique. Sur fond d’un des bis, une voix s’élève, comme surgie des profondeurs de la terre : “Il n’y pas de secret. Il n’y a qu’une vérité simple, sobre, crue. Tu t’isoles. Tu crées ton île. Vaste immense, énorme univers. Énorme puissance d’univers. Tu restes collé au vent. Tu ne fais aucune concession, tu oublies tout, tu oublies que tu es consultant. Parce que le consulting, c’est de la merde [Tonnerre d’applaudissements !]. La seule chose qui ait de la valeur, c’est quand tu es capable de faire un chapitre comme celui-là. Ça, ça restera; ça, ça mérite que tu vives. Faut vivre à fond.”
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Profitant d’une brève accalmie dans les applaudissements qui apparentent momentanément la Philharmonie à un stade de foot, le premier violon entonne l’air de “Joyeux anniversaire”. Il est aussitôt suivi par l’orchestre et repris par toute la salle, avec des conceptions hétérogènes de la justesse, mais dont Rone est ému aux larmes. Une soirée que ni lui, ni aucun des participants ne devraient oublier.