COMPTE-RENDU – Les récitals de 18H du Festival International de Colmar ont investi le beau Théâtre Municipal. La série s’ouvre, non moins en beauté (et en amitiés musicales) en cette édition 2023 avec le duo constitué de Bruno Philippe au violoncelle et Cédric Tiberghien au piano.
Un cadre idéal pour la musique de chambre
Alain Altinoglu, nouveau directeur artistique du Festival International de Colmar, a installé au Théâtre Municipal les récitals de 18h. Cet édifice jouxtant le Musée Unterlinden -au terme de plusieurs remaniements intervenus depuis son ouverture en 1849- propose désormais outre une façade classique à la française, une salle à l’italienne de fière allure, trois galeries et une capacité d’accueil de 550 places. L’acoustique s’avère particulièrement favorable aux différents récitals y compris vocaux : l’occasion de mettre l’accent sur des synergies musicales à quelques-uns, entre des musiciens choisis (mais qui peuvent aussi être nombreux : sachant que la salle accueille déjà certains spectacles ciblés de l’Opéra National du Rhin).
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De l’austérité de Frank Bridge à l’effervescence de Claude Debussy
Dès les premières mesures du duo formé par Bruno Philippe et Cédric Tiberghien, l’auditeur ressent sans ambiguïté la forte complicité amicale et artistique qui unit les deux artistes, issus tous deux du CNSMD de Paris. Et d’ailleurs, le contenu du programme et des œuvres-mêmes est à l’image de ce qu’est une belle amitié : le dialogue et la rencontre de personnalités complémentaires. La Sonate pour violoncelle et piano en ré mineur de Frank Bridge, créée en 1917, est une œuvre en deux mouvements qui pourraient trouver à s’opposer, mais qui parviennent à un juste point d’équilibre entre le lyrisme de la première partie qui n’est pas sans exhaler certaines influences russes, et la seconde en forme d’arche qui déploie le style éminemment personnel du compositeur (qui introduit même au sein de sa partition une certaine bitonalité : deux tonalités distinctes devenues harmoniquement amies, quels que soient leurs nombres de dièses ou de bémol). Assez austère pour tout dire, elle exige des interprètes, dont le violoncelliste en premier lieu, une maîtrise technique ici parfaitement assurée.
Parce que c’était lui (Bruno Philippe), Parce que c’était lui (Cédric Tiberghien)
La Sonate de Claude Debussy pour sa part fut présentée en ces mêmes années -soit 1917 pour la France- par un compositeur déjà affecté par la maladie et profondément marqué par la première guerre mondiale. Cette œuvre en trois mouvements s’ouvre par un ton grave dans une sorte d’hommage aux grands compositeurs classiques français sollicitant le violoncelle dans ses extrêmes. Elle rebondit ensuite sur une Sérénade plus enjouée, voire capricieuse, et surtout pleine de tendresse. Le finale brillant et animé déploie une alchimie harmonique qui transcende l’ensemble de la sonate. Le piano brillant et toujours justement chantant de Cédric Tiberghien s’harmonise sans écart avec les profondeurs du jeu de Bruno Philippe au violoncelle : amitié musicale encore et toujours.
Johannes Brahms et la Sonate de la maturité
Et puis parce qu’une amitié mûrit comme un bon vin (ou un bon Schnaps, Colmar et Alsace obligent), le programme se fait aussi franco-allemand (amitié toujours) avec la Sonate pour violoncelle et piano n°2 en fa majeur, op.99, la seconde et dernière composée par Johannes Brahms, presque un quart de siècle après la première. De cette pièce relativement brève (30 minutes), Bruno Philippe et Cédric Tiberghien donnent une lecture confondante d’aisance et de naturel, exploitant au mieux ses composantes proches du Lied et démontrant ainsi leur propre maturité artistique.
Devant l’enthousiasme du public, les deux interprètes offrent en bis une des cinq Pièces dans le style populaire op.102 de Robert Schumann, qui semble comme encore approfondir les qualités de ce duo parfaitement complice dans le domaine de la musique de chambre. Le public composé d’amis de la musique est comme devenu lui aussi un immense groupe d’amis réunis par leur mélomanie, et c’est comme pour poursuivre ensemble l’aventure qu’ils sortent du théâtre sous un ciel immaculé et un soleil radieux, pour gagner l’Église Saint-Mathieu qui accueille pour le concert de 20h30 Alain Altinoglu et son Orchestre Symphonique de la Radio de Francfort avec pour soliste le violoniste Sergey Khachatryan dans un programme de musique russe intitulé « Eveil des sens », qui allie musique et gastronomie : le rendez-vous de notre prochain article.