COMPTE-RENDU – Pour ce second concert du soir au sein de l’Eglise Saint-Matthieu de Colmar et intitulé « Eveil des sens », Alain Altinoglu a souhaité associer directement la gastronomie française avec les Tableaux d’une Exposition de Modeste Moussorgski, en plus d’autres pages de la musique russe également au programme.
À table avec les Tableaux
La ville de Colmar accueille sur son territoire un chef étoilé : Eric Girardin qui officie avec ses équipes en son restaurant La Maison des Têtes situé en plein cœur de la commune. Alain Altinoglu, fin gourmet, lui a demandé de concocter spécialement pour le concert quelques savoureuses bouchées, à sa façon. Ainsi, à la fin de l’entracte et avant l’exécution des Tableaux d’une exposition par l’Orchestre Symphonique de la Radio de Francfort, chaque spectateur s’est vu remettre un petit carton, contenant quatre bouchées à déguster à un moment très précis et selon le déroulé des mouvements. En effet, chaque bouchée, contenue dans un petit récipient de forme différente pour éviter de se tromper, porte le nom d’un mouvement et s’inspire du caractère propre de celui-ci.
Ainsi la première, portant la dénomination du second mouvement soit Gnomus offre, durant son exécution, aux sens de l’auditeur un caviar d’aubergine relevé lié à une tapenade d’olives noires, tuiles de sésame et gels aux agrumes de cerfeuil.
La seconde Tuileries, plus douce d’approche, comporte une Pana cotta et une salade de petits pois, menthe, gel de framboise acidulé.
La suivante Samuel Goldenberg et Schmuyle, une petite part de Truite fumée accompagnée d’une purée de céleri rave et nappée d’une huile aux herbes.
La dernière bouchée sucrée comme il se doit accompagne Catacombae sur une base de chocolat amer, de caramel et mascarpone.
Chef de table
Le chef d’orchestre lui-même donnait le signe des dégustations au public avec l’appui du personnel de salle ! Cette initiative singulière et concluante, plus aisée certainement à organiser dans le cadre d’un festival d’été, a semblé totalement réjouir le public. Alain Altinoglu et Eric Girardin sont d’ailleurs venus saluer à parité à l’issue de concert. L’exécution globale de ces fameux Tableaux d’une exposition dans l’orchestration de Maurice Ravel, fut tout simplement magistrale, l’Orchestre Symphonique de la Radio de Francfort répondant comme un seul homme à toutes les sollicitations de son chef habituel Alain Altinoglu qui frappe par la précision de sa gestuelle et de ses indications musicales.
Arménie : plat de Résistance
La courte ouverture Andante tranquillo de La Khovanchtchina, opéra posthume de Moussorgski, donnée en ouverture de programme, permet à Alain Altinoglu de démontrer ses affinités avec cette musique qui évoque alors et avant le déclenchement du drame, la sérénité du bout de la nuit et l’éveil du soleil sur les bulbes dorées des églises de Moscou. Magnifiquement maîtrisée, sa direction permet à l’orchestre de dévoiler toutes ses capacités esthétiques et son soucis de créer les ambiances les plus justes, mettant en valeur tout particulièrement les cordes.
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Matière et grâce
C’est ensuite un Sergey Khachatryan en état de grâce qui s’est emparé du Concerto pour violon en ré mineur d’Aram Khatchatourian, lui-même et comme son interprète originaire d’Arménie. Cette œuvre fut créé en 1940 par l’immense David Oïstrakh. Ce concerto puise intensément aux sources de la musique folklorique arménienne, avec son côté populaire et humain surtout. Les trois mouvements se complètent, le premier dansant et volubile, le second plus délicat de forme et presque nocturne, le dernier Allegro vivace évoque un peuple victorieux et heureux. Sergey Khachatryan impose une énergie confondante à la luxuriante et virtuose cadence du premier mouvement, sans que le technicien n’efface le musicien, bien au contraire.

Cette musique semble comme émaner de l’interprète en lui-même, reflet exacte de ses origines et de sa sensibilité. Il domine son violon, son complice, avec une hauteur de vue et une singularité qui fait tout le sel et le sens profond de son interprétation. Le public présent lui a réservé un triomphe complet. En bis, Sergey Kahchatryan a souhaité saluer le courage et l’abnégation du peuple arménien victime il y a déjà un siècle d’un génocide épouvantable. Ce chant spirituel en forme de déploration, par la tristesse qui le parcourt et son caractère particulièrement émouvant, pourrait aisément faire pleurer les pierres !