COMPTE-RENDU – Le temps d’un concert avec l’Orchestre National d’Ile-de-France et dans le cadre du festival Days Off, le compositeur électro Thylacine a posé ses valises à la Philharmonie de Paris. Retour sur une soirée dédiée au voyage, puissante et envoûtante.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté
Le compositeur électro Thylacine trace un sillon singulier dans le monde de la musique électronique depuis quelques années. Pour son premier album en 2015, Transsibérien, il a choisi de s’enfermer dans le train le plus long du monde, qui relie Moscou à Vladivostok, et de capter les bruits qu’il entendait : le tchou-tchou du train, les bruits de ferraille, le chant d’un shaman en Sibérie, une chorale près du lac Taïga… :
De l’assemblage de ces éléments, sous forme de sampling (échantillonnage), est né un album explorateur et entêtant, suivi d’un autre album « voyageur », Roads I, écrit suite à ses pérégrinations sud-américaines :
Des meubles luisants, polis par les ans
Soudain, l’année 2020 arrive et chamboule avec elle les projets de voyage. À défaut de la géographie, c’est le temps qui est choisi. Place alors à l’album Timeless : onze plages portant le nom d’un compositeur classique (Sheremetiev, Satie I, Beethoven, Mozart…) :
La musique de Thylacine porte en elle une puissance hypnotique forte mais dénuée de toute substance hallucinogène : l’invention de l’hypnose bio en somme. On reste ancré, en pleine conscience, tout en se laissant transporter.
Au pays qui te ressemble
Impression amplement confirmée par le concert du vendredi 7 juillet, qui vit la Philharmonie se transformer en un train musical remontant l’espace et le temps. Le choix des instruments (le bağlama, instrument turc de la famille des luths ou encore le saxophone arabisant, joués par Thylacine lui-même) ont imposé une coloration orientalisante certaine. L’électro, au début légèrer en accompagnement, a pris peu à peu le cœur du propos. Le piano, fort et très percussif de Bravinsan, complice indispensable de Thylacine, a laissé paraître toute la qualité de son chaloupé rythmique. En parallèle, l’orchestre s’est installé, dévoilant d’autres couleurs du paysage sonore.
Thylacine sait très bien tirer parti de chaque instrument, les siens – saxo et luth, et ceux des musiciens qui l’entourent. Loin d’être de simples potiches, comme c’est parfois le cas dans ce type de concert, les cuivres furent grandioses et précis, les cordes virtuoses, notamment dans une reprise du dernier mouvement de l’Hiver de Vivaldi -le 1er violon devenant même une rock star !-, la guitare de Thibault Cauvin, guest star, se fit envoûtante dans Asturias d’Albeniz et les voix enregistrées furent parfaitement assimilées au discours musical.
Luxe, calme et volupté
La symbiose de ce groupe hétéroclite sur scène fut éclatante lors du morceau composé pour permettre à l’orchestre de s’accorder. Incroyable. Thylacine se saisit de chaque instant, de chaque potentiel de façon remarquable. Bravo !
L’audace du prodige est également époustouflante dans la façon qu’il a de partir de l’œuvre classique pour nous amener dans un tout nouvel horizon. Il donne une puissance et une épaisseur supplémentaire à ces compositions aux très bons équilibres sonores. Le Lacrimosa de Mozart ou le Dies irae de Verdi prennent une dimension épique inédite avec cette version concert.
Gageons que Thylacine nous réserve d’autres périples qu’il sera passionnant de suivre…