CONCERT – De Debussy à Messiaen, puis aux compositeurs à l’origine de l’ensemble L’Itinéraire, dont le demi-siècle est célébré cette année, c’est presqu’une histoire de famille qu’explore ce programme du Festival au Pays de la Meije. Avec un sympathique invité, les ondes Martenot, qui suscite la curiosité du public.
Le père
Dans la grande famille musicale d’Olivier Messiaen, je voudrais le père : bien sûr ! Debussy, mort lorsque Messiaen avait 10 ans, fut une source d’inspiration essentielle du compositeur. Ainsi le concert donné dans la (bien trop) généreuse acoustique de la Collégiale de Briançon, dans le cadre du Festival Messiaen au Pays de la Meije qui célèbre cette année les 50 ans de L’Itinéraire, lui rend-il hommage. Au programme : trois mélodies interprétées par la soprano Elise Chauvin et le pianiste Alphonse Cemin. La chanteuse habite son chant, lyrique, dansant presque sur place et fermant parfois les yeux un long moment (ce qui ne l’empêche pas de tourner les pages d’une partition qu’elle ne regarde donc pas), tandis que son accompagnateur semble jouer dans une décontraction sereine, attentif toutefois aux inflexions de la ligne vocale.
Les fils
Dans ce jeu de la grande famille de la musique contemporaine, le Festival convoque également les fils : parmi les cinq compositeurs à l’origine de L’Itinéraire (dont Messiaen a encouragé la création), deux sont mis en avant ce soir (tous ayant leurs moments privilégiés durant les 10 jours de festival : pas de jaloux !). Ainsi, le concert démarre sans préambule par un dialogue de grosses caisses (les percussions, pas les voitures). C’est Stèle, une œuvre composée par Gérard Grisey en 1995. Les deux percussionnistes se font face : l’une en joue du bout des doigts, ou en frottant un objet sur la peau, sur laquelle sont posées des billes enfilées, sur le principe du timbre d’une caisse-claire ; l’autre frappe puissamment son instrument étouffé d’un voile noir. Le crescendo final est impressionnant.
Froissement d’ailes est une œuvre de Michaël Levinas composée en 1975 (deux ans après la création de L’Itinéraire, donc). Elle est présentée ici dans une version pour ondes Martenot, l’un des plus anciens instruments électroniques (il est présenté en 1928), véritable star de cette fin de soirée (le public se pressant même autour de son instrumentiste, Nathalie Forget, à la fin du concert).
Les possibilités de sonorités sont explorées : l’instrument produit des sons électroniques aussi bien que des sons chauds, se rapprochant de l’orgue, du violoncelle, voire de la voix humaine. Le compositeur, présent au second rang et manifestement bouleversé par cet hommage le ramenant un demi-siècle en arrière, soupire d’abord face à certains choix d’interprétation (est-ce pour ça qu’il refuse son invitation à venir saluer avec elle à la fin du morceau ?), mais il vient finalement remercier l’ondiste dans un grand sourire une fois le concert achevé.
Les ondes Martenot ont un deuxième temps d’expression dans une pièce de Philippe Leroux intitulée Un Lieu verdoyant – Hommage à Gérard Grisey (le seul des cinq compositeurs à l’origine de L’Itinéraire à être aujourd’hui décédé). La voix se fond dans les ondes Martenot (et vice versa), reproduisant ses ondulations en y apportant le verbe de manière poétique.
…et le saint esprit
Ce programme ayant introduit les père et fils spirituels d’Olivier Messiaen, ainsi que les ondes Martenot, place aux principaux protagonistes de ce festival : Olivier Messiaen lui-même et l’ensemble L’Itinéraire (rejoints pour ce concert par 15 étudiants de l’Académie du Festival) pour les Trois petites liturgies de la Présence Divine, une œuvre puisant son inspiration dans la foi du compositeur. Lors de la création de cette œuvre, le 21 avril 1945, soit quelques mois après la libération de Paris, un certain Pierre Boulez officiait comme tourneur de page, tandis que Ginette Martenot (la sœur de l’inventeur de l’instrument) était aux ondes, et au piano Yvonne Loriod (future épouse d’Olivier Messiaen). Ce soir, le piano de David Chevalier apporte ses broderies aux sonorités percutantes, l’ondiste Nathalie Forget joue par cœur, en murmurant les paroles en même temps que les femmes du Chœur Spirito qui alternent tendresse et abandon, avec vivacité et puissance expressive. À la tête de cette impressionnante masse artistique, Mathieu Romano fait une infidélité à son Ensemble Aedes, battant la mesure des deux mains, de manière claire et fonctionnelle, permettant d’assurer une cohérence globale malgré l’acoustique difficile.
Le public de la Collégiale de Briançon laisse le silence résonner à son tour un long moment après les dernières notes, comme subjugué par la puissance de cette œuvre à la fois spirituelle et captivante, moderne et accessible.