OPERA – La Saison lyrique 2023/2024 du Grand Théâtre de Genève se trouve placée sous l’intitulé général de « Jeux de pouvoir », avec en ouverture la version française du Don Carlos de Verdi dans une mise en scène de Lydia Steier et placée sous la baguette de Marc Minkowski.
L’enfermement du sujet : vue globale
Lydia Steier s’est éloignée pour cette présentation de Don Carlos de l’univers sanguinolent et décadent qu’elle utilise bien souvent. À Genève, elle a préféré mettre en exergue un pouvoir dictatorial inspiré des anciennes républiques soviétiques et porté ici par un Philippe II à la limite de l’inhumanité, dominé toutefois par la toute puissante église catholique et son représentant, le Grand Inquisiteur. Les pendaisons se succèdent dés le début de l’ouvrage pour se conclure avec celles de Carlos et Elisabeth à l’acte V. Si le propos peut convaincre, le manque d’unité de l’ensemble finit par lasser, avec ses propositions successives qui s’additionnent sans se compléter. Pourquoi ces religieux aux écoutes, cette table d’enregistrement de toutes les conversations, si rien ne se trouve ensuite traduit par les actes ?
Si la direction d’acteurs paraît globalement de qualité, les ensembles s’éparpillent ou surprennent par un certain manque de goût, comme ce ballet déjanté des dames de la cour lors de l’air du voile chanté par Éboli, ou lorsque cette dernière surgit un rien déshabillée de dessous le bureau de Philippe II… Le décor imposant et tournant ne manque pas d’épaisseur, notamment dans son utilisation frénétique lors du ballet de l’acte III ! D’autres options interrogent comme le fait de présenter Elisabeth terriblement enceinte et accouchant presque en direct lors de l’entrée des insurgés à l’acte IV. L’aspect plus directement dramatique de l’ouvrage de Verdi se trouve comme relégué au second plan, au profit d’une lecture qui se veut actualisée et plus incisive, mais qui masque presque l’essentiel d’un ouvrage en lui-même déjà particulièrement puissant.
Côté musique : recension point par point
Déjà maître d’œuvre des opéras français présentés les années précédentes en ouverture de saison (La Juive en 2022, Les Huguenots en 2020), Marc Minkowski semble moins à l’aise avec le Don Carlos de Verdi. Il dirige l’Orchestre de la Suisse Romande avec une certaine précaution, voire retenue, attentif bien entendu au rendu des atmosphères et des situations. Mais les envolées musicales et dramatiques manquent de fougue et de rayonnement pour convaincre sur le long terme. Les chœurs habituellement impeccables à Genève se sont retrouvés à plusieurs reprises en décalage ou en défaut de cohérence, désagréments qui doivent pouvoir se résoudre pour les 5 représentations à venir.
Le ténor Charles Castronovo, pour sa prise de rôle, est un Don Carlos fiévreux et totalement habité par son rôle. La voix se déploie presque avec vaillance, même si certaines tensions se font jour dans le registre aigu.
À ses côtés, Rachel Willis Sorensen met un peu de temps à trouver ses marques, même si le matériau vocal s’avère particulièrement touchant par son sens des nuances et son art de la demi-teinte. Son air redoutable de l’acte 5 face au tombeau de Charles-Quint Toi qui sus le néant des grandeurs de ce monde la libère totalement. Elle domine alors sa partie avec une voix qui s’épanouit au mieux, dotée d’aigus magnifiques et ardemment inspirée.
Comment qualifier la prestation de Stéphane Degout en Posa, sinon en s’extasiant une nouvelle fois sur la conduite exemplaire de cette voix de baryton totalement posée, aux accents à la fois suaves et déterminés. Et quelle diction impeccable !
Le timbre un rien guttural et un legato bien chaotique viennent assombrir la prestation de la basse Dmitry Ulyanov en Philippe II : le personnage existe notamment dans les moments d’autorité mais sans bouleverser pour autant par ailleurs.
Habituée désormais du rôle d’Eboli, Eve-Maud Hubeaux se donne sans réserve ni retenue. Si la Chanson du Voile la trouve prompte à nuancer ou à s’envoler vers l’aigu, l’air ô don fatal la pousse dans ses retranchements, sa voix irisée ne possédant pas l’envergure ici indispensable. La basse chinoise Lian Li campe un Grand Inquisiteur glaçant et impitoyable, tandis qu’Ena Pongrac donne pleinement vie aux interventions du page Thibault. Le moine et figure de Charles-Quint est interprété avec conviction par William Meinert, le rôle du Comte de Lerme étant pour sa part tenu par le jeune ténor prometteur, Julien Henric et celui de la voix céleste par Giulia Bolcato, un rien fragile. Les députés flamands, comme le chœur, doivent veiller à chanter à l’unisson.