FESTIVAL – Alors que les lieux de rendez-vous privilégiés de la mélomanie parisienne avaient à peine rouvert, la fondation Royaumont consacrait les deux journées des vendredi 15 et samedi 16 septembre aux vocalités viennoises – l’occasion de suivre colloques, master classes et concerts dans un hôtel particulier du 8e arrondissement transformé en bibliothèque, et bien entendu à l’abbaye cistercienne du XIIIe siècle sise aux confins septentrionaux de la région Île-de-France, à 50 minutes de la Gare du Nord. Le même endroit accueillait le dimanche création et redécouverte de répertoires oubliés.

« Je ne dors jamais bien à Royaumont »…
… assène l’une des voix de la musique contemporaine sur France Musique ce dimanche soir à l’antenne, tout en reconnaissant que le lieu était d’emblée promis par son cadre à un destin hors du commun. La fondation créée par Henry Goüin et Isabel Lang en 1964 et le festival qui a lieu chaque année à la fin de l’été et au début de l’automne entendent perpétuer l’esprit d’ouverture et de rayonnement humaniste des rencontres musicales initiées en 1936. La création n’est pas en reste : le dimanche matin, on pouvait entendre les pièces de trois compositrices au « carré magique », installation sonore en plein air conçue par le compositeur Jean-Luc Hervé, toutes en lien avec la végétation environnante et en hommage à la nature qui constamment se transforme, dans l’interprétation du jeune ensemble en résidence Semblance. L’après-midi, l’autre jeune ensemble en résidence, Apotropaïk, offrait au même public attentif et recueilli l’occasion d’une redécouverte de l’art des trouvères et troubadours.

Prendre la route de Royaumont
Pas de panique ! « On s’arrangera toujours pour que vous puissiez venir à Royaumont », insiste Francis Maréchal, le grand patron, à l’attention du public. Une navette gratuite est mise à votre disposition par la fondation, vers et depuis la gare la plus proche. À Royaumont, on a à cœur d’unir recherche, formation et interprétation. Notre trip royaumontesque de l’année 2023 commence cette année à la BLGF (Bibliothèque musicale La Grange-Fleuret), où se suivent colloque, et master class. Car au fonds documentaire constitué par François Lang (le frère d’Isabel Lang, organiste, mort en déportation en 1944) se sont adjointes en 2019 les collections d’Henry-Louis de La Grange et Maurice Fleuret conservées à la bibliothèque du 8e arrondissement.

On y assistait dès le vendredi matin, grâce au pôle recherche constitué de la musicologue Anna Stoll Knecht et du chef d’orchestre mahlérien Benjamin Garzia, à des communications de teneur internationale, informées, pas trop universitaires, mais suffisamment nourries sur les caractéristiques du chant bayreuthien et du chant viennois. Puis l’après-midi à une master class du baryton-basse Chistian Immler et du pianiste Andreas Frese, qui conseillaient de jeunes musiciens lauréats de la fondation dans un répertoire de lieder de Mahler. Le colloque se poursuivait le lendemain à l’abbaye par une approche de ces vocalités à travers les enregistrements anciens et la redécouverte d’un grand oublié du lied viennois, le compositeur Oskar C. Posa.

« Un penchant pour les extrêmes »
Telle est la définition de la vocalité viennoise que propose l’une des jeunes participante à la master class. Une formule parfaitement illustrée par le récital des deux maîtres le samedi à 17 heures : leur programme riche et dense s’étend du postromantisme à fleur de peau de Zemlinsky aux harmonies déjantées de Schreker, sans oublier Korngold, ici franchement straussien, de retour le soir dans un quintette débordant de lyrisme et de théâtralité sous les archets et doigts du quatuor Diotima et de Tanguy de Willencourt. Sont également au rendez-vous Berg (de somptueux lieder de jeunesse interprétés par la sublime Axelle Fanyo), puis quelques premiers opus et surtout le quatuor n°2 de Schönberg : la modernité se raccroche ici aux mots, ceux du sulfureux poète symboliste allemand Stefan George, chantés par une voix de soprano (Axelle Fanyo encore) dont les cordes constituent l’écrin. Une rencontre de choc qui rend à ce monument de l’histoire de la musique tout le sel de son lyrisme fébrile.