CONCERT – Dans le cadre très champêtre de la Grange aux Pianos, atypique maison d’artiste de la campagne berrichonne, le jeune Quatuor Bellefeuille vient donner ses lettres de noblesse à la musique de chambre. Devant un public accueilli dans un cocon, des oeuvres de Schubert, Debussy et Chostakovitch prennent un relief et une modernité toute particulière, venant clore de la plus belle des manières un festival qui gagne à être connu.
La Grange aux pianos : késako ?
C’est fou comme on est bien là, sur son petit plaid, dans cette maison de campagne aux charpentes plus qu’apparentes, avec les oiseaux qui sifflotent et les vaches qui meuglent, là-bas, au loin. Comment, ce n’est pas un gîte de vacances ? C’est tout comme, en tout cas, et l’on se sent empli de zénitude en pénétrant ici, dans cette Grange aux Pianos dont l’hôte est le pianiste Cyril Huvé (Victoire de la Musique en 2010, entre autres), qui accueille ici les spectateurs comme s’ils étaient tous des amis. Et comme s’ils étaient tous chez eux, surtout.
Ah, un week-end à la campagne…
Une grange comme un cocon, qui a depuis onze ans donné son nom à un festival toujours plus fréquenté, et dont cette édition 2023 a encore décliné un riche menu, entre récitals de piano, animations familiales, soirées théâtrales avec Daniel Mesguich, et un concert vocal dédié aux mélodies de Francis Poulenc. Un chouette programme en somme, avec le souci également, pour Cyril Huvé et sa compagne Céline, autre talentueuse pianiste, de mettre à l’honneur de jeunes générations. Ce qui est fait, en ce soir de clôture, avec l’invitation du jeune Quatuor Bellefeuille, composé de quatre artistes issus du conservatoire de Boulogne-Billancourt (situé au 22, rue…de la Belle-Feuille), qui trouvent là l’occasion d’une expérience assurément inédite.
De la musique au coin du feu
Ainsi, à l’heure de tourner la page de ce festival, et de l’été, voici quatre jeunes instrumentistes qui viennent se poser là, au milieu du salon…pardon, de la scène, pour charmer l’audience : Sophie Guille des Buttes et David Forest aux violons, Hervé Blandinières à l’alto, et Enguerrand Bontoux au violoncelle, amis de conservatoire devenus piliers non pas d’un XV tricolore (les places sont déjà prises) mais d’une formation à la maturité et à l’excellence déjà confondantes. Car tout n’est que maîtrise et application constantes dans une première partie de concert où sont convoqués Claude Debussy et son unique Quatuor à cordes en sol mineur, puis Dmitri Chostakovitch et son Quatuor n°7 en fa dièse mineur.
De la mélancolie
De la première œuvre, chacune des quatre parties se trouve idéalement servie, et même le profane est à même de deviner la teneur des indications rythmiques. Les premiers mouvements ? Ils sont vifs et dynamiques, avancent à un train « très animé décidé », ainsi que mentionné dans une partition dont un violon volcanique, un violoncelle déterminé et un ardent alto honorent l’esprit à la lettre, jusqu’à ce troisième mouvement soudain bien plus lyrique et introspectif, avec pianissimo pour chacun et solennité pour tous, le dialogue entre pupitres devenant confessions partagées entre violoncelle éploré et violon mélancolique. Il faut alors un dernier mouvement…mouvementé, pour en revenir à davantage de vivacité dans l’exécution sans cesse expressive d’une œuvre envoûtante.
Du silence
Et le quatuor de Chostakovich ne l’est pas moins, certes bien plus court mais non moins intense et éloquent dans ses manières de décrire le tourment et la fièvre (le compositeur se sait alors malade), grâce une nouvelle fois à la parfaite fusion des archets et de leurs mouvements, avec des musiciens en parfaite symbiose, partageant le même souci de la nuance marquée et d’un phrasé tantôt appuyé, tantôt plus éthéré, le crin frôlant à peine la corde, comme dans cette conclusion d’un Allegro venu donner tout son poids à la notion de silence.
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Un peu d’orage
Une première partie marquée en somme par l’énergie d’artistes en herbe dont le talent se fait, aux portes des champs de la plaine berrichonne, plus florissant que jamais dans une seconde partie de concert donnant à entendre un « tube » du répertoire de musique de chambre, signé Schubert. Un indice ? Il y est question d’une jeune fille, et de la mort. Vous l’avez ? Voici donc venu le fameux Quatuor en ré mineur D.810 dit… « La Jeune fille et la Mort », dont l’essence poétique est sublimée par quatre jeunes instrumentistes confondants d’assurance et d’homogénéité sonore face à une œuvre pourtant si exigeante.
Dès l’Allegro, avec ces coups d’archets fougueux et ces tempi orageux, et ces manières de creuser les nuances jusqu’en leurs tréfonds les plus expressifs, tout n’est qu’osmose et complicité dans les attaques comme dans la puissance de coups d’archet dont certains en viennent à perdre des crins. Pas cependant de quoi faire perdre leur cran aux membres d’un quatuor plus éloquent que jamais dans un vibrant Andante, avec ses variations autour d’un thème funeste issu du non moins solennel lied ayant donné son nom à l’oeuvre. Et s’il n y ici pas de voix, c’est tout comme, au fond, tant les instruments se font ici chantants, et ce d’autant plus dans un Presto aux croches virevoltantes à la mécanique dansante restituée avec une intensité croissante jusqu’aux ultimes coups d’archets.
Et de beaux souvenirs !
Alors arrive le temps des applaudissements, logiquement nourris pour des jeunes artistes venant s’excuser de ne pouvoir « bisser » après une heure trente d’un programme épuisant. Ils sont tout excusés, évidemment, eux qui, à l’heure de l’automne, on surtout démontré qu’ils se trouvaient au printemps d’une carrière prometteuse.