PLAYLIST – A l’occasion de la Biennale des quatuors à cordes de la Philharmonie de Paris, du 12 au 23 janvier 2022, nous vous avons préparé une playlist spéciale. Mais pourquoi autant d’enthousiasme autour du quatuor à cordes ? Quatre serait-il le chiffre magique en musique classique ? Suivez le guide.
Le quatuor à cordes désigne deux choses : un style musical et un ensemble de musiciens. La Biennale des quatuors à cordes de la Philharmonie de Paris fête sa 10e édition, du 12 au 23 janvier 2022. On y retrouvera une liste impressionnante des quatuors à cordes. Des ensembles plus ou moins jeunes, de France et de l’étranger. Listons : Arditti, Belcea, Borodine, Casals, Danel, Hagen, Jerusalem, Takacs, mais aussi les quatuors Arod, Diotima, Ébène, Hanson, Modigliani, Mona, Simply, Tchalik et van Kuijk…
L’engouement autour du quatuor à cordes, le genre musical, a quelque chose de fanatique. Allez dans l’un des concerts proposés durant cette biennale et regardez autour de vous. Les spectateurs et spectatrices ont l’air normaux… et pourtant ! Ils et elles ne vénèrent pas une chanteuse à la voix extraordinaire, un orchestre aux 120 musiciens, ni un groupe de 12 gamelans balinais qui font un tintamarre du diable. Non ! Ces fans se pâment pour quatre musiciens ou musiciennes, perdu·es sur une immense scène, jouant une musique délicate et intime, capable de vous retourner le cœur d’émotions. Allez comprendre ! Tentons en quelques extraits.
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Le principe : la preuve par quatre
C’est un principe magique, qui ne s’explique pas. Le quatuor à cordes, cette réunion de quatre instruments à cordes plus ou moins graves, serait le must du classique, le groupe capable de rendre presque l’essence de la musique, la quintessence… euh bah non… la quartessence alors ? En bas dans le grave, un violoncelle.
Au milieu, un alto. Et, au-dessus, pas un, mais deux violons. Sur le papier, cela parait déséquilibré. On vous dira que c’est comme à l’orchestre (un groupe de premiers violons, un autre de seconds violons…), mais ça ne nous aide pas trop, vu qu’on a ici ni percussions, ni vents. Et bien justement, c’est là où c’est intéressant : l’épure, la simplicité du quatuor à cordes et pourtant une belle densité pour pouvoir en dire autant qu’un orchestre, ou presque.
La naissance : le papa Haydn
Nous voyons déjà venir les puristes ! Ce n’est pas exactement Joseph Haydn (1732-1809) qui a inventé le quatuor à cordes. La période baroque avait déjà posé le principe de l’équilibre entre quatre instruments à cordes de tessitures différentes. Ok. Et il y a eu d’autres compositeurs qui ont écrit pour ces quatre-là. Ok. Mais bon. « Papa Haydn » s’est tellement passionné pour cette formation qu’il en a posé les grands principes d’écriture.
Les quatre mouvements. Un premier violon qui donne le chant, un deuxième qui fait toute la richesse du contre-chant. Un alto dont on dit qu’il ne fait rien, mais qui, heureusement, bouscule les deux autres avec sa voix plus grave, et un violoncelle qui donne la stabilité.
L’adolescence : Beethoven fait mieux que papa
Les « fils » de Haydn, Mozart et Beethoven, ont achevé de faire du quatuor à cordes un genre incontournable pour tout compositeur qui se respecte. Les créateurs et créatrices s’y mettent quand même sur le tard dans leur carrière.
Si la qualité des quatuors de Mozart est inégale, les 16 partitions que Beethoven offre au genre sont magistrales. Si l’on devait conseiller une intégrale des Quatuors à cordes de Beethoven, ce serait celle du Belcea Quartet. Il faut observer attentivement comment se fait chaque départ, comment, d’un regard vers le premier violon naît une nuance. Le quatuor à cordes demande une osmose entre les musiciens, une grande confiance.
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Le quatuor à cordes demande une osmose entre les musiciens, une grande confiance.
L’émotion à l’état pur : Schubert
La Jeune Fille et la Mort. Un quatuor à cordes de Franz Schubert (1797-1828) qui concentre en lui la force de l’expression, la douceur de la jeunesse et la violence de la mort… Au point que ce Quatuor à cordes opus 7 no 3, D.531, Der Tod und das Mädchen, a même été le fil conducteur d’un film génial.
La partition a également été adaptée pour orchestre (le truc à l’envers quoi) : une version qui sera donnée à la Philharmonie, le 15 janvier. On peut citer d’autres partitions de Schubert. Il adorait le quatuor à cordes, mais comme il avait un copain contrebassiste et que lui-même jouait du piano, il a ajouté les deux instruments au groupe. Dans certaines bandes de potes, c’est la catastrophe. Dans La Truite, c’est cool. A écouter le 17 à La Philharmonie de Paris par le Quatuor Modigliani.
Oh tiens, des compositrices font du quatuor
La liste des compositrices qui se sont dédiées au quatuor à cordes est assez longue. Cette formation exigeante demandait peu de moyens : quatre copines et le tour était joué. On peut remercier ici le Quatuor Diotima qui, bien avant que la question de la redécouverte des compositrices ne vienne sur le devant de la scène, a enregistré le Quatuor en mi-bémol de Fanny Mendelssohn avec ceux de son frère Felix.
La Biennale de la Philharmonie de Paris met à l’honneur quelques pièces écrites par des femmes : Sofia Goubaïdoulina, née en 1931 sera jouée par le Quatuor Hanson. Ying Wang née en 1976 par le Quatuor Diotima, Julia Lacherstorfer, née en 1985 par le Quatuor Simply, Qi Li, née en 1990 le 21 janvier (par le Quatuor Arod),
Le combat des coqs : Ravel et Debussy
Nos compositeurs français préférés ne sont pas de gros créateurs de quatuor. Un chacun, c’est bien. Et même super bien ! A l’équilibre des pionniers classiques, ces deux modernes ajoutent de l’audace et une énergie très particulière, parfois troublante. Et dire qu’on a failli ne rien en entendre.
L’anecdote est la suivante : Debussy avait marqué les mélomanes avec son Quatuor à cordes en sol mineur. Ravel, son cadet, s’en inspire, mais n’est pas tout à fait satisfait. Un poil tatillon, Ravel est à deux doigts de tout jeter au feu quand Debussy intervient : « Si tu jettes le tien, je jette le mien », dit Debussy en substance. La vraie citation était en réalité : « Au nom des dieux de la musique, et au mien, ne touchez à rien de ce que vous avez écrit de votre Quatuor ».
Vous pourrez l’écouter le 18 janvier par le Quatuor Takács. Le groupe américain d’origine hongroise est l’un des grands quatuors internationaux de notre temps.
La chevauchée américaine : Dvorak
Dvorak, le créateur de La Symphonie du Nouveau Monde a lui aussi signé un tas de quatuors. L’un d’entre eux est un tube, inspiré de son séjour aux États-Unis. Le compositeur tchèque y met une ambiance folklorique qui va très bien avec le pays de la country. On l’écoute en fermant les yeux et en imaginant les grandes plaines arides du Colorado, à cheval, en jean Levis et la cigarette au bec (on a droit de fumer quand on écoute du quatuor à cordes!). Par contre à La Philharmonie le 20 janvier avec le Jerusalem Quartet, la cigarette est proscrite (mais le jean, ne l’est pas).
Morton Feldman : retiens la nuit !
Pour finir, faisons un saut dans le temps, mais restons aux Etats-Unis. Morton Felman (1926-1987) est un drôle de compositeur qui cherche le dépassement des normes et une musique expérimentale, franchement planante. Autant vous installer confortablement : son Quatuor à cordes n°2 dure cinq heures.