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Gratin, crottin et crème Chantilly

CARTE BLANCHE – Il aura fallu la rencontre du pianiste Iddo Bar-Shaï et du prince Amyn Aga Khan pour que la ville princière de Chantilly se dote d’une programmation musicale digne d’elle ; en pénétrant sous le dôme des Grandes Écuries où se tiennent les concerts, la majesté de l’architecture fait presque oublier à l’auditeur le parfum des stalles qui bordent la longue galerie d’entrée ; seuls les bruits sourds de quelques ruades nous rappellent de temps à autre pendant l’exécution des œuvres la présence des hôtes éternels du lieu ; car à Chantilly, les chevaux ont le bon goût de ne hennir qu’entre les mouvements.

Melting potes

Directeur artistique des Coups de cœur à Chantilly, Iddo Bar-Shaï ne craint pas les programmes généreux et parfois hétéroclites, qui donnent à ses concerts des allures de schubertiades. Et c’est d’ailleurs un trio à cordes de Schubert qui ouvrait les rafraîchissantes agapes de cette soirée, rapidement suivi d’un aller simple pour l’Espagne de Debussy dont la mélodie Beau soir, ici chantée par le violoncelle, constituait l’invitation au voyage en des terres plus âpres : celles d’En blanc et en noir et de Lindaraja, deux partitions pour deux pianos où règne l’aride et aveuglant soleil ibérique. 

Le bon goût d’Iddo Bar-Shaï ne se contente pas de rassembler avec succès ces œuvres aux effectifs variés, il préside aussi au choix des interprètes qui les défendent : véritable rendez-vous du gratin musical, les Coups de cœur font venir à Chantilly une exceptionnelle brochette de musiciens. La première partie affichait ainsi la légendaire Martha Argerich – pour la quatrième fois depuis la création du festival, Stephen Kovacevich et Iddo Bar-Shaï lui-même au piano, Edgar Moreau au violoncelle, Lyda Chen Argerich à l’alto et Alissa Margulis au violon. La jeune génération des fils et filles – spirituels ou non – de la grande pianiste argentine côtoie ainsi les grands noms de la musique classique.

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D’une rive à l’autre

La Méditerranée, traversée pendant l’entracte, débarque l’auditeur sur les rives de la Terre Promise où se déroule l’essentiel de la deuxième partie du programme, conçue comme une sélection de mezze offerts sur un plateau d’argent. Une mélodie a capella, chantée poitrine frappée, nous fait d’abord découvrir l’exceptionnelle chaleur de timbre de la soprano Tehila Nini Goldstein, qui tient cette chanson de sa grand-mère. S’ensuivent cinq mélodies hébraïques traditionnelles, soigneusement choisies et agencées et dans lesquelles Iddo Bar-Shaï nous ravit par le simple et pudique raffinement de son jeu, créant avec les mélismes orientaux de la soprano une osmose parfaite où tous les héritages semblent se rejoindre. L’extraordinaire pureté des couleurs offertes par ces cinq mélodies et la grande sincérité de leurs univers poétiques marqueront l’auditoire.

Martha Arguerich, mythique… ©Marina Bourdais
Folklore chic, sans un hic !

En langue espagnole mais puisés dans les communautés juives de l’ancien Empire Ottoman, les six Couplets séfarades du compositeur Alberto Hemsi offrent quant à eux une habile synthèse entre écriture savante et sources traditionnelles, laissant la prédominance à ces dernières. On regrette dans les premiers numéros une partie de piano un peu envahissante, que la fougue de Théodosia Ntokou ne parvient pas à fondre tout à fait sous la ligne vocale ; la suite du cycle offre des atmosphères bien tranchées où la part belle est faite à la théâtralité de Tehila Nini Goldstein, qui vit avec exactitude chacune des scénettes hébraïques de la partition. On notera le très schubertien De la juma sale el moro, présentant, un peu à la façon de certains lieder « rustiques », un motif unique dont la répétition parcourt au fil du morceau une grande partie de l’éventail des états d’âme humains. À l’aise aussi bien dans des graves dont une alto ne rougirait pas que dans le haut du registre de soprano, la chanteuse israélienne offre une diction également claire en hébreux et en espagnol, pour le plus grand plaisir des auditeurs.

Le violon qui murmure à l’oreille des chevaux

Après être remonté des Monts de Judée à Constantinople, c’est en toute logique que le road trip de cette soirée s’achève dans les Europes de l’est et centrale, avec une Mélodie hébraïque de Joseph Achron, le fameux Nigun d’Ernest Bloch et des pages célèbres de Fritz Kreisler. C’est le magnifique violoniste Geza Hosszu-Legocky qui monte en selle pour ce dernier quart de programme ; Suisse d’origine hongroise, Hosszu-Legocky est l’archétype du virtuose tzigane, tant au plan sonore que visuel. Un violon d’une chaleureuse puissance et d’une agilité exceptionnelle, qui semble nous murmurer à l’oreille à travers les pourtant grands espaces du Dôme, et qui saura retrouver une même complicité avec trois partenaires successifs : Théodosia Ntokou, Iddo Bar-Shaï et enfin la grande dame de la soirée, Martha Argerich.

On ressort des Grandes Écuries après trois heures de concert sans plat principal, mais sans avoir vu le temps passer et enchanté des mets musicaux rassemblés. Pari réussi, donc, pour Iddo Bar-Shaï.

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