COMPTE-RENDU : Pour sa rentrée lyrique, les orfèvres de l’Opéra National du Capitole de Toulouse ont pêché quelques-unes des plus belles perles du chant francophone qu’ils ont présentées dans un écrin scénographique de velours chatoyant et agrémentées d’une parure chorégraphique de bijoux fantaisies et d’un anneau orchestral doré.
Reportée depuis la période covid, la nouvelle production des pêcheurs de Perles du théâtre du Capitole de Toulouse se veut grandiose et vise à montrer l’Opéra sous son meilleur jour en faisant appels à de grands noms du chant comme de la scénographie. Le choix de la tradition a été fait, non sans une pointe de fantaisie à chercher du côté de la danse et des costumes.
Un écrin de velours chatoyant : les mille couleurs de l’Inde
Véritable magicien de la décoration scénique, Antoine Fontaine se montre à la hauteur de sa réputation. Aussi on ne s’étonne pas d’entendre à l’entracte quelques spectateurs s’émerveiller en s’exclamant « on en a plein les yeux ! ». Il travaille en synergie avec Patrick Méeüs, dont les éclairages contribuent à la magie de nombreuses scènes notamment la nuit où les étoiles scintillent en fond de l’air de Leila (Me voilà seule dans la nuit) ou encore l’incendie se déclenchant au dernier tableau. Les costumes colorés de David Belugou renforcent le faste de cette scénographie et s’inscrivent tout à fait dans la bizarrerie et la curiosité que constituait l’Orient pour l’Europe du XIXème siècle. La première tenue entièrement bleue de Leila fait ainsi écho à l’iconographie de la mythologie hindoue, celle du prêtre Nourabad à l’ambivalence de genre, voire à l’hermaphrodisme de certaines de ses divinités et les masques de l’assistance au moment du sacrifice à la déesse noire Kali, responsable de la destruction des mauvais esprits.
Des bijoux fantaisies : la chorégraphie exotique de Thomas Lebrun
C’est le chorégraphe Thomas Lebrun qui signe la mise en scène. Il y a bien sûr intégré de la danse, en s’appuyant sur les forces du ballet du Capitole. Sa vision d’ensemble de l’espace renforce l’esthétique du plateau et il place souvent pertinemment les chanteurs pour mettre en valeur l’action, sans surexploiter le devant de la scène. Les chœurs, au début du premier acte, sont un peu statiques et peu impliqués dans l’action qu’ils décrivent. Les ajouts de ballet ont un peu les qualités et les défauts du bijoux fantaisie. Ils utilisent principalement la technique de la danse classique à laquelle on a parfois ajouté du déhanché (pour un peu d’exotisme) mais on y retrouve aussi de la danse contemporaine et même du cancan. Autant bien choisis, ils peuvent presque faire tout le charme d’une scène comme la ballerine voilée (peut-être inspirée des Wilis de Giselle) qui danse en fond du duo Au fond tu temple sain et vient recouvrir le corps de Zurga à la toute fin du spectacle. Autant ils peuvent apparaitre trop voyant, comme le cancan précédant le sacrifice qui ne semble aller ni avec la musique ni avec le drame.
Un anneau doré
Certes un anneau simple ça va avec tout et ça ne fait pas de vague. S’il est composé par l’Orchestre National du Capitole du matériaux de la plus fine qualité, l’orfèvre Victorien Vanoosten le fond dans un métal trop poli. Il semble en effet mettre plus d’énergie à brider qu’à libérer son orchestre qui apparait comme trop uniforme, dans les nuances notamment, très discrètes. La lecture dramatique est minimaliste et l’orchestre ne contribue que très peu à amplifier les actions même si quelques beaux reflets miroitent au troisième acte. Pour une œuvre lyrique de la seconde partie du XIXème siècle où la mode tendait déjà vers un certain maximalisme, c’est quelque peu frustrant. L’agrément de quelques diamants ou rubis éclatants n’aurait pas été de trop. Cette impression est d’autant plus renforcée en absence du chant, dans le prélude par exemple ou encore les Jeux d’enfants (de Bizet également) donnés pour l’interlude entre les deux premiers actes. Les chœurs sont précis, bien coordonnés et justes mais ils pourraient être encore plus puissants par moments.
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Les perles : collier de grandes voix
La distribution des quatre rôles solistes est entièrement francophone et relativement homogène avec un chant pur, rond et touchant comme le sont les perles.
Mathias Vidal (Nadir) se montre comme un parfait connaisseur du style et de la langue française dont il fait ressortir toute la poésie. Les aigus sont puissants et bien liés. La ligne de chant est pure, avec peu d’effets renforçant la portée dramatique de ses propos. Il saisit le lyrisme et la finesse de chacune des mélodies si bien écrites par Bizet. On peut volontiers comparer son approche à celle Nicolai Gedda qui compte comme une référence dans le rôle de Nadir.
Avec un abord assez opposé mais un résultat non moins agréable, Anne-Catherine Gillet et son timbre cristallin décore le plus souvent avec gout l’ensemble de ses interventions d’un vibrato maitrisé. La progression mélodique est cependant parfois un peu abrupte dans son air (Me voilà seule dans la nuit).
Le Zurga d’Alexandre Duhamel a la voix un peu encombrée à l’acte 1 mais il garde la puissance nécessaire pour s’imposer avec quelques forte efficaces. Il se dévoile pleinement au troisième acte à la fois dramatiquement et vocalement. Son jeu devient engagé et personnel, et sa voix plus claire et opulente. Son air (L’orage s’est calmé) transporte ainsi avec brio le public dans les tourments du personnage. Le Nourabad de Jean-Fernand Setti est appuyé par sa stature ferme et droite. Sa voix puissante, claire et directe correspond à son rôle.
De beaux bijoux font une belle parure, et c’est sous cette forme qu’apparait la nouvelle production des Pêcheurs de perles du théâtre du Capitole. Une pièce de luxe hors du temps, belle en soi par le ravissement de chacune de ses pierres : ses perles de chanteur, son orchestre doré, son écrin moelleux de menuiseries et de lumière et sa touche de fantaisie. Et si on reproche souvent à cet opéra la superficialité de son livret, la réalisation de l’acte 3 nous prouve même qu’il comporte un brin de psychologie. Le public applaudit chaudement à la fin et les conversations que l’on peut surprendre ci et là laissent penser qu’il est conquis.