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Journée magique à Royaumont

DANSE – En danse, les néo-romantiques ont de l’avenir : ainsi s’intitulait le dernier jour du festival de la Fondation Royaumont, programmé par le pôle « Création Chorégraphique » et privilégiant l’expérimental.

L’abbaye de Royaumont : rien que pour le voyage

Passer la journée à l’abbaye de Royaumont, c’est comme plonger dans un état de plénitude au milieu de la nature et profiter d’un moment d’accalmie un peu hors du temps loin du tumulte parisien. Tout y est pour se déconnecter, dont un réseau 4G quasi absent. Situé à seulement une petite heure de la Gare du Nord, ce cadre unique et spirituel mériterait d’être un peu plus connu. Classé monument historique en 1927, c’est la plus grande abbaye cistercienne d’Ile-de-France et un chef d’œuvre de l’art gothique. Mais c’est surtout un cadre naturel exceptionnel, calme et serein avec ses nombreux jardins : le jardin du cloître et le potager-jardin. Les arts sont aussi mis à l’honneur dans ce lieu exceptionnel.

Ça ira comme salle de spectacle ? ©DR

En effet l’abbaye est devenue un centre international pour les artistes de la danse depuis 1995, et pour la musique depuis 1964. Chaque année, de septembre à octobre, le festival de la fondation de Royaumont programme une dizaine de concerts et de spectacles répartis sur 6 week-ends. Le programme de ce dernier jour du festival, le dimanche 8 octobre, était En danse, les néo-romantiques ont de l’avenir , programmé par le pôle « Création Chorégraphique », qui privilégie l’expérimental. Des spectacles mêlant performance, danse, chant et théâtre. 

Solus Break : Matinée sur-vitaminée

Nous commençons donc la matinée à 11h30 avec Solus Break, un solo dynamique interprété par le jeune chorégraphe Tom Grand Mourcel, issu de la culture hip-hop. Parti à 17 ans à New York, il côtoie le monde underground avant de revenir en France pour intégrer le CNSMD de Lyon en 2012. Il danse dans plusieurs compagnies avant de fonder la sienne avec Vera Gorbatcheva, intitulé Dikie Istorii où il allie danse et musique live. Il nous présente Solus Break, une sorte d’autoportrait dansé où il côtoie un mur d’enceinte, petit clin d’œil aux raves.

The Hip to the Hop, and you just don’t stop © Tom Grand Mourcel

Des boules Quiès sont gentiment données au spectateur avant le spectacle. On comprend vite pourquoi : ça va bouger sur des Sons pour les sales gosses, du hip-hop à la techno en passant par le break, l’acide ou la jungle. Son solo dynamique « ça parle de tout et de rien. Au sens large, ça questionne sur l’identité » comme le précise l’artiste. Il mentionne une « identité rythmique », celle qui donne envie au corps de bouger sur des rythmes de l’électro comme s’il était sous acide. Un instinct presque animal, celui d’un corps qui bouge dès qu’il entend un rythme. L’appel de la musique et de la nature. L’artiste est seul sur scène… et en même temps non : il est entouré d’un public qu’il invite à bouger avec lui. Une expérience immersive intéressante sur ces sons qui font déhancher le corps mais qui mériterait de gagner un peu en maturité. 

Break dance ! © Tom Grand Mourcel
Come Kiss Me Now : réunion des mélancoliques anonymes

Avec Come Kiss Me Now, Alban Richard, directeur du CNN (Centre Chorégraphique National) de Caen en Normandie, nous plonge dans un état mélancolique inspiré de la littérature musicale anglaise du XVIIème siècle, du traité l’Anatomie de la mélancolie de Robert Burton, publié en 1621, et de la new wave des années 1980 à travers cinq portraits. Il allie théâtre, danse, musique mais aussi époques et œuvres et invente ainsi une corporalité à l’intérieur de ses musiques : une nouvelle façon de danser le corps. Huit artistes de premier plan mais d’horizons différents participent à ce spectacle. Alban Richard résume son spectacle comme « la réunion des mélancoliques anonymes » – chaque portrait traite de la mélancolie de façon différente.

Pour Aristote, la mélancolie a différents états corporels qui ne se traduisent pas seulement par la dépression et la tristesse, mais aussi par la folie. Elle est souvent une caractéristique attribuée aux génies et aux créateurs. Ainsi l’idée d’Alban Richard est de voir comment s’exprime cette mélancolie à travers cinq portraits. 

Folle tristesse… © Agathe Poupeney

Le premier portrait intitulé « Chihiro’s Party » par la performeuse japonaise Chihiro Araki est le plus fort et le plus intense des cinq tableaux. Elle danse sur la Fantaisie pour six violes d’Orlando Gibbons, retravaillée numériquement. Elle nous scotche littéralement sur notre chaise. Ça commence par des râles comme si elle allait mourir sur scène ou comme si elle était possédée, avec ses yeux révulsés et enchaîne sur une danse saccadée comme une morte vivante. Elle est incroyable et donne tout au public dès ce premier round. Elle ne s’économise pas et fait même peur aux enfants dans la salle. Cette première mise en bouche de la mélancolie proche de la folie est incroyable.

Pour le deuxième portrait Flow my tears, la musique anglaise du XVIIe siècle de John Dowland est mélangée avec une musique assistée par ordinateur. La splendide soprano belge Céline Scheen – qui se produit régulièrement avec Philippe Jarrousky – chante à une grande table accompagnée du consort de violes de gambes l’Achéron. Alice Lada, quant à elle, accapare la scène en y dansant gracieusement dans un corsage vert. Parfois des lumières jaunes viennent illuminer son corps et le réchauffe. Parfois elle s’arrête quelques instants d’un air mélancolique. Elle médite. On passe un moment de mélancolie méditative dans un écrin de calme qui permet de nous remettre de la folie du premier tableau. 

Flow my tears © Agathe Poupeney

Le troisième portrait Time Stand still on radio est celui qui a le moins convaincu, et qui est le plus bruyant et brouillon. C’est Alban Richard lui-même qui s’y colle en survêtement jaune fluo et noire en brandissant un drapeau. Il récite ou plutôt crache un texte politique incompréhensible en anglais accompagné du beatboxer et compositeur Ezra. Dans ce texte défouloir, il est question de cœur, d’amour, de se sentir mal dans sa peau… Mais le sens nous échappe complètement.

Pour le quatrième portrait, on nous remet un livret de poème de la poétesse Marie de Quatrebarbes appelé Teen Movie et nous lisons tous ensemble en chœur Rochers noirs où il est question d’une promenade au cimetière. On pouvait rêver mieux pour un dimanche après-midi ensoleillé que de parler d’un mort et de sa tombe.   

Mais heureusement la cinquième partie intitulée Gold Melancholia Tour, un mélange de plusieurs chansons New Wave, arrive enfin et la pétillante soprano Céline Scheen dans une robe dorée magnifique et des bottes noires sort de sa zone de confort avec brio pour reprendre le répertoire mélancolique de Soft Cell (Tainted Love), d’Eurythmics (Here comes the rain again) ou encore d’Orchestral Manoeuvre in the Dark (Souvenir). Avec ce dernier tableau, une étonnante mémoire corporelle surgit chez les spectateurs, qui tentent de retrouver le nom et les paroles de ces chansons souvent cultes complètement réinterprétées et réinventées et de temps en temps difficilement reconnaissables.

Karaoké trois étoiles © Agathe Poupeney

Une mélancolie de l’enfance surgit alors pour le spectateur comme pour la soprano qui évoque un voyage en Slovénie. Cette dernière partie interroge aussi sur la création de nouveauté et sur la capacité à transformer silencieusement des choses que l’on connaît déjà. Les fantômes des périodes précédentes ne cessent de hanter le présent et réaparaissent dans les nouvelles créations. D’où toute la difficulté de faire de l’innovation disruptive dans la création. « Faire du neuf avec du vieux » permet de redonner vie à nos fantômes. C’est le cœur même de la mélancolie. 

On ne peut rester de marbre devant un tel spectacle qui soulève de nombreuses questions philosophiques pas seulement sur la mélancolie, mais aussi sur le rapport à la mort et à la folie, sur la capacité de se réinventer sans cesse. Cette création qui mêle récital, théâtre, danse, chant, musique ancienne et beatbox peut sembler fouillie et ardue pour un dimanche après-midi, on vous l’accorde. Mais Alban Richard semble avoir réussi son coup, car c’est sûr que les spectateurs vont ressentir des sensations corporelles à un moment des cinq portraits. Il ne reste plus qu’à déterminer lequel.   

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