OPÉRA – L’Opéra Grand Avignon ouvre sa saison lyrique et scénique par l’opéra Rusalka de Dvořák, avec l’initiative collaborative “Opéras au Sud” et le concours du Stade Nautique d’Avignon et du Cercle des Nageurs d’Avignon.
Nager avec le courant
Les metteurs en scène Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil se jettent à l’eau et placent Rusalka dans une piscine (elle s’entraîne peut-être pour les JO 2024). La petite sirène désormais des temps modernes fait de la natation synchronisée : l’occasion de tracer un parallèle entre le conte de fées où l’ondine doit abandonner son identité (sa voix) pour trouver l’amour, et ces femmes athlètes qui doivent tant sacrifier. Rusalka est ici sous la férule de son père entraîneur de natation (la basse polonaise Wojtek Smilek déguisé en Philippe Lucas, ça coule de source, comme sa voix charnue au vibrato large), et de ses sœurs nymphes, “partenaires” de natation (les trois nymphes Mathilde Lemaire, Marie Kalinine et Marie Karall, dont les voix se mêlent comme trois gouttes d’eau). Le parallèle entre l’histoire et son actualisation est ainsi loin de prendre l’eau et de se décatir comme le fait progressivement la piscine qui occupe en coupe ce plateau : le carrelage se décolle, les lumières clignotent et s’éteignent, des briques au fond de la piscine explosent et sautent dans l’air, créant un trou béant.
La vision de cette production et notamment les rapports malsains intra-familiaux ainsi qu’avec le “prince” soulignent ainsi pleinement la cruauté de cette histoire, bien loin de l’univers féerique de Disney, bien plus proche de la réalité du mythe et de cet opéra.
Des projections vidéos permettent également aux nageuses de raconter leurs rituels, leur obligation à la beauté, leur frustration de ne pouvoir montrer autre chose ni de se faire entendre.
Nager entre deux eaux
Dans la fosse, l’Orchestre National Avignon-Provence, dirigé par le chef Benjamin Pionnier avec une précise dynamique, vient égayer en quelque sorte la soirée avec une exécution musicale impeccable, soulignant la brillance aquatique de la partition, sachant tendre la perche à chaque pupitre, mettant notamment en valeur les solos de harpe et la mirifique Chanson à la Lune.
La soprano arménienne Ani Yorentz Sargsyan interprète encore plus pleinement ce rôle, dans cette version : alors qu’elle était souffrante à la répétition générale, elle doit donner, à la manière d’une athlète, le meilleur d’elle-même. Grâce à son engagement, à son timbre clair comme de l’eau de roche et des aigus ronds et puissants, le spectacle ne tombe pas à l’eau. Pour camper son prince tout sauf charmant, le ténor Misha Didyk accentue le métal de sa voix, mais le jeu se rigidifie et les fins de phrases appuient leurs craquellements de voix expressifs. Irina Stopina est comme un pois(s)on dans l’eau dans son costume de Princesse étrangère ici en femme fatale, avec une voix puissante et dramatique, des aigus ronds et un vibrato bien marqué. Elle viendra néanmoins réconforter Rusalka après l’agression de celle-ci par le ““Prince””. La sorcière Ježibaba est ici agente d’entretien, la mezzo-soprano Cornelia Oncioiu dépassant sa condition par une voix épaisse et chaude, d’un timbre velouté.
À lire également : Cenerentola, l’icône du TCE
Le bassin à cœur ouvert sur le plateau est d’autant mieux rempli par les longs applaudissements (synchronisés ou pas) du public.